Colonisation, esclavage, rôle de la France en Afrique: «certains ne voient que les bienfaits, d’autres que les méfaits»

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La France n’a-t-elle commis que des méfaits sur le continent africain? Jean-Paul Gourévitch, spécialiste des migrations vient de publier son dernier essai «La France en Afrique: 1520-2020 Vérités et mensonges». Son objectif: dépasser le manichéisme. Un discours audible?

Difficile d’avoir échappé à la polémique cet été. À la sortie du confinement, profitant de l’émotion générée par la mort de George Floyd aux États-Unis, les militants décoloniaux ont défrayé la chronique, en dégradant ou détruisant des statues d’esclavagistes, d’explorateurs et d’hommes politiques. Colbert et Christophe Colomb en ont ainsi fait les frais. Le Président de la République a explicitement refusé tout déboulonnage de statues, alors qu’en 2017, le candidat Macron avait tenu en Algérie des propos très controversés:

«La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité […] ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis des gestes.»

Des déclarations qu’il a immédiatement atténuées dans l’interview estimant qu’«en même temps, il ne faut pas balayer tout ce passé». Le chef de l’État ayant lui-même des difficultés à s’exprimer sur des sujets aussi sensibles, comment débattre sereinement sur le passé africain de la France? Doit-elle réellement présenter ses excuses?

À l’occasion de la publication de La France en Afrique: 1520-2020 Vérités et mensonges (Éd. L’Harmattan), Sputnik a interrogé l’auteur de cet essai, Jean-Paul Gourévitch, spécialiste de l’Afrique subsaharienne et des migrations.

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Réfutant toute idée d’excuses au nom de la France, le démographe n’est pas convaincu de la pertinence des déclarations d’Emmanuel Macron,

Instrumentalisation politique et anachronismes

Ainsi notre invité s’insurge-t-il contre l’esprit de «repentance, le fait que l’on doit déplorer tout ce que la France a fait dans son passé». Rappelant l’objectif scientifique de la discipline, Jean-Paul Gourévitch demande à ce que l’Histoire cesse d’être instrumentalisée à des fins politiques, a fortiori quand elle aborde une période complexe qui s’étend sur plus de 500 ans.

«Dire que c’est un crime contre l’humanité, c’est considérer que l’action de la France doit être simplement jugée sur le plan négatif. Effectivement, il y a eu des méfaits de la colonisation aussi bien en ce qui concerne le travail forcé que le combat.»

Deuxième élément, l’anachronisme qui semble être pratiqué à la fois par le Président de la République et les militants décoloniaux: «il ne sert à rien de regarder hier avec des lunettes d’aujourd’hui». Les idéaux colonisateurs de la IIIe République sont effectivement difficilement compréhensibles pour nos contemporains. Que l’on songe à Jules Ferry, farouche républicain et figure de la gauche, qui a affirmé le 28 juillet 1885 que «les races supérieures» avaient «le devoir de civiliser les races inférieures».

«Désinformation» et manichéisme

Toutefois, Jean-Paul Gourévitch estime que l’objectif poursuivi par la communauté des spécialistes n’est pas tant de déterminer des jugements moraux que de dresser «l’état des lieux, le plus objectif, le plus scientifique possible» d’une période donnée. L’ambition de son ouvrage est donc bien de rétablir certaines vérités et de traquer les idées reçues:

«La désinformation, c’est l’oubli de la traite arabo-islamique, les confusions entre esclavage et traite, le débat sur les bienfaits et les méfaits de la colonisation. Certains ne voient que les bienfaits, d’autres que les méfaits.»

Pour ses contempteurs, la colonisation n’aurait eu que des conséquences négatives, entre l’esclavage et la traite, et elle perdurerait aujourd’hui avec le «pillage» des ressources, qualifié ainsi de «néo-colonialisme». Des «amalgames démagogiques», pour Jean-Paul Gourévitch qui voit là une lecture «manichéenne» de l’Histoire. Selon lui, les aspects positifs de l’influence française en Afrique sont trop souvent gommés, c’est-à-dire la réduction de la mortalité, la mise en place d’un système de santé et d’éducation, le développement économique et d’un système de transports. Un raisonnement qu’il adapte inversement à l’Hexagone.

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La colonisation a-t-elle été bénéfique pour la France? «Il y a une sorte d’idée toute faite comme quoi la France aurait profité à fond de l’Afrique». Reprenant la thèse de l’historien Jacques Marseille, il estime que cette affirmation n’est «pas exacte», car les investissements auxquels la France a consenti en Afrique avant les indépendances «ont moins rapporté que ce que la France en a tiré». L’empire étant un «partenaire commercial privilégié» de la métropole, son exploitation économique jusqu’en 1914 était alors tout à fait rentable:

«De 1900 à 1913, la valeur des échanges de la France avec l’Empire a progressé de 100% alors que le commerce extérieur n’augmentait que de 73%. C’est, avec 13%, le troisième champ d’exportation des capitaux français après la Russie et l’Amérique latine.»

Pourtant, c’est à partir des années 1930, que le marché colonial devient, selon Gourévitch, «la béquille du capitalisme», car l’Afrique noire sert de débouché facile pour des industries métropolitaines peu compétitives et en conséquence peu soucieuses de se moderniser. De leur côté, les colonies se contentent d’exporter des denrées alimentaires brutes. Un schéma en circuit fermé, peu adapté aux débouchés des industries métallurgiques et chimiques modernes.

La décolonisation sera ainsi l’un des facteurs décisifs de la période faste des Trente Glorieuses pour la France. Avec ce raisonnement nuancé, l’auteur de La France en Afrique démontre la possibilité de tenir un jugement scientifique, dénué d’idéologie, sur le passé de la France. Peut-être certains en prendront-ils de la graine.

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