Fraude sociale: rentrée explosive en perspective

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La Cour des comptes a rendu son rapport sur la fraude aux prestations sociales en France. Bien qu’incapables d’en chiffrer ne serait-ce que l’ampleur, les Sages revoient à la hausse les calculs présentés à la Commission parlementaire par la direction de la Sécurité sociale. Cette même commission dont le rapport est attendu la semaine prochaine.

Le dossier de la fraude sociale revient sur le devant de la scène politico-médiatique en cette rentrée.

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Verser les prestations sur les comptes bancaires de leurs seuls bénéficiaires, ne plus prendre en charge les frais de santé après une clôture de droits à l’assurance maladie, faire correspondre les salaires déclarés au titre des prélèvements sociaux avec ceux qui ouvrent des droits à la retraite, aux indemnités journalières et allocations chômage, ou encore verser des aides au logement au titre de biens immobiliers qui existent. Autant de mesures, en apparence pétries de bon sens, issues des recommandations de la Cour des comptes (CdC) afin de «tarir les possibilités» de fraude sociales.

Le jour de la parution du rapport commandé aux Sages de la rue Cambon par la Commission d’enquête parlementaire relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, soit mardi 8 septembre, les députés siégeant dans cette dernière ont adopté à l’unanimité le rapport de leur six mois d’enquêtes et d’auditions.

En 2020, il est officiellement impossible de connaître l’ampleur précise de la fraude sociale en France

Bien que «les données disponibles ne permettent de parvenir à un chiffrage suffisamment fiable», admet la Cour des comptes, celle-ci fournit un chiffre d’un milliard d’euros au titre de la fraude détectée auprès des différents organismes sociaux. «En 2019, la branche famille a qualifié de frauduleux 323,7 M€ d’indus qu’elle a détectés; Pôle emploi a détecté 212 M€ de préjudices subis et évités au titre de fraudes; les branches maladie et vieillesse ont respectivement détecté 286,7 M€ et 160,2 M€ de préjudices subis et évités au titre non seulement de fraudes, mais aussi de fautes», synthétise le rapport.

La face cachée de l’iceberg en somme. Comme le souligne de son côté le rapporteur et député de l’UDI Pascal Brindeau, seule la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf), qui forme la branche «famille» de la Sécurité sociale, effectue une évaluation du taux de fraude de sa branche (en l’occurrence 3,2% pour un montant de 2,32 milliards d’euros) extrapolée à partir d’un échantillon de 7.200 dossiers contrôlés. Sur le podium des prestations les plus fraudées: le RSA (10,1% des montants), la prime d’activité (6,2%) et les aides aux logements (2,9%).

«Je reste estomaqué que la direction de la Sécurité sociale ne soit pas capable d'expliquer 2,4 millions de bénéficiaires potentiels de prestations qui, physiquement, n'existent pas, et vous dise cela sans sourciller», déclare au Point Pascal Brindeau. «Ces 2,4 millions d'assurés dits "fantômes" ont bien des droits ouverts, mais on ne sait pas s'ils touchent la prestation! La caisse est incapable de vous dire qui ils sont, d'où ils viennent, comment expliquer cet écart», ajoute le rapporteur de la Commission d’enquête.

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Et le député d’estimer que «le système est très faillible, parce qu'il fonctionne en silo entre les différents organismes sur la base du déclaratoire». Sur cette base, il concède qu’il est «possible, et même probable» que la fraude sociale atteigne les 30 milliards d’euros par an, lorsque le journaliste lui suggère une extrapolation du taux de fraude évalué par la Cnaf à l’ensemble de la Sécurité sociale. Évoquant le manque de contrôles, lui-même issu d’un manque de bonne volonté des autorités, le député centriste avance des cas concrets:

«La caisse complémentaire Agirc-Arrco a mandaté une société pour aller contrôler la réalité de la vie de retraités en Algérie. Sur un panel ciblé de 1.000 personnes âgées de plus de 85 ans, cette société a trouvé 40% de fraudes! Et qu'ont fait les organismes? Ils se sont arrêtés là, refusant d'aller voir plus loin. Il y a peut-être des enjeux diplomatiques, mais je crois que c'est d'abord un problème de culture.»

Une révélation qui devrait pourtant trouver un certain écho dans la presse, à l’heure où l’Agirc-Arrco, en partie étranglée par la baisse des cotisations en cette période de crise sanitaire, pourrait envisager un gel des pensions de retraite dans les années à venir était afin de pallier au manque de ressources.

Les calculs de la Sécurité sociale taclés par la Cour des comptes

Pourtant jugée «considérable» par la CdC, cette estimation du surplus de 2,4 millions de bénéficiaires potentiels aux prestations sociales chiffrée par les collaborateurs du directeur de la sécurité sociale (DSS) lors d’une audition fin juillet est désormais revue à la hausse par les Sages de la rue Cambon.

«Il [l’excès de 2,4 millions d’ayants droit, ndlr] paraît sous-estimé de plusieurs centaines de milliers de personnes […] le surnombre d’assurés bénéficiant à tort de droits ouverts à une prise en charge de leurs frais de santé par l’assurance maladie, exercés ou non, paraît dépasser trois millions de personnes», notent-ils.

Un delta initialement de 6,7 millions entre le nombre d’ouverture de droits et la population française auquel la DSS a retranché les individus vivant à l’étranger ainsi qu’1,1 million de dossiers qu’elle impute au «délai de mise à jour entre les bases internes». Si l’astuce avait fini par être acceptée par le président de la Commission, la Cour ne la laisse pas passer, trouvant avec la DSS un différentiel de 2,9 millions d’assurés (potentiellement fantômes) qui plus est.

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Même constat du côté des cartes Vitale surnuméraires (différence entre le nombre de cartes valides et le nombre d’assurés) qui ainsi risque de rester dans le débat. Estimé à 5,2 millions en septembre 2019 à l’occasion de la parution du rapport parlementaire corédigé par la sénatrice UDI Nathalie Goulet et la députée LREM Carole Grandjean, leur nombre n’a depuis eu de cesse d’être revu à la baisse – non sans polémique –  pour aujourd’hui s’établir à 573.000, à en croire le député Pascal Brindeau.

Un chiffrage qu’estime optimiste à bien des égards la Cour des comptes.

«En première analyse, 2,5 millions de cartes Vitale valides seraient ainsi en surnombre», reprennent les Sages, estimant que ce «nombre […] est en réalité plus élevé». Partant d’un simple différentiel entre le nombre de cartes en circulation fin juin 2020 (56,8 millions) et le nombre de personnes de plus de 16 ans vivant en France (54,3 millions) au 1er janvier 2020, ils prennent alors en compte tous les titulaires d’une pension de retraite résidant à l’étranger. Un fait «douteux» aux yeux des Sages qui évoquent au passage les 400.000 personnes «qui n’ont fréquemment jamais résidé en France» et touchent des pensions de réversion alors même qu’en France les 320.000 bénéficiaires de l’AME (à 80% majeurs) n’ont pas de carte Vitale. 320.000 résidents, mais sans cartes Vitale, qui viennent donc creuser le différentiel entre le nombre de cartes en circulation et la population en France.

​Des chiffres qui depuis le début des travaux parlementaires ne cessent de défrayer la chronique. Déjà avant l’ouverture des travaux de cette commission, le rapport parlementaire de Nathalie Goulet et Carole Grandjean avait révélé quelques pépites, comme la présence dans les fichiers de la Sécurité sociale de 3,1 millions de centenaires réputés en vie (contre 21.000 selon l'INSEE).

Le rapport de la Cour des comptes ne déroge pas à la règle. Comme le décrypte l’ancien magistrat Charles Prats, qui est sur le point de publier un livre sur le thème (Cartel des Fraudes, Éd. Ring 2020), la CdC révèle au grès d’une note de bas de page qu’une retraite sur deux serait aujourd’hui versée à une personne née à l’étranger.

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