Légiférer sur la polygamie et engager un processus de régularisation des mariages coutumiers et religieux pour les rendre formels et protéger les femmes et les enfants, si c’est une proposition parmi tant d’autres du programme que soumet aux Ivoiriens le candidat à la présidentielle du 31 octobre 2020, Mamadou Koulibaly, c’est manifestement celle qui retient le plus l’attention.
Le professeur @M_Koulibaly parle de la fin des monopoles, de la fin du cfa, de la réforme foncière et de la retraite par capitalisation mais il fait le buzz sur Facebook Ivoire à cause de sa proposition sur la polygamie. A croire que le caleçon n'intéresse que ce peuple.
— Biakpa Aouti (@hdrewxxl) September 9, 2020
Sur les réseaux sociaux, le débat entre anti et pro-polygamie fait rage depuis plus d’un an maintenant, avec l’adoption d’une loi relative au mariage. Mais une résurgence particulière est observée ces derniers jours.
La polygamie n'a absolument rien à faire dans une société moderne. C'est une organisation familiale patriarcale qui traite les femmes et les enfants comme des biens et où tout est voué au bien être de l'homme. Il n'y a absolument rien qui puisse en faire une bonne chose.
— Jigéen bou baaaaakh (@amlaiouo) September 10, 2020
La polygamie est un obstacle à l'épanouissement et à l'équilibre psychologique de l'enfant. Elle fait de la famille le premier lieu de conflit de valeurs où des pères irresponsables et phallocrates et des femmes acariatres rivalisent d'indignité de mensonge et de sorcellerie
— ABOKI Comlan (@adjatakoffi) September 10, 2020
De part et d’autre, les arguments pour tirer la couverture à soi ne manquent pas.
Merci au professeur @M_Koulibaly d'avoir suscité par sa position un débat sur le mariage en côte d'Ivoire. La polygamie existe déjà , elle est même acceptée par la société...pourquoi ça te fait mal si on te dit qu'on va essayer de l'encadrer ? ? 🤷♂️🤷♂️
— Nouchi2Babi (@Kpakpato_Nouchi) September 10, 2020
La polygamie n’existe pas dans la loi. Donc les foyers polygames actuellement ne sont pas pris en charge dans la couverture sociale du père (en tout cas les femmes et enfants) en cas de décès c’est encore pire.
— Ma Nu (@GeolabIV) September 10, 2020
Soit on durcit pour ne plus avoir de foyer polygame soit on accepte
Saisir le phénomène
La loi relative au mariage adoptée par l’Assemblée nationale le 26 juin 2019 dispose que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ayant chacun 18 ans révolus, célébrée devant un officier de l’état civil. Elle ajoute, en guise de rappel, que «nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la dissolution du précédent».
Toutefois, la sociologie du mariage dans le pays contraste grandement avec les exigences de cette loi, du moins au regard des données statistiques recueillies lors du dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH), mené en 2014.
En effet, selon le RGPH 2014, la proportion des unions coutumières s’élève à 79,1% et celle des mariages religieux à 28,4% contre seulement 8,4% pour les mariages légaux. Mais il faut noter que plusieurs unions sont célébrées selon deux ou trois de ces modèles.
Par ailleurs, la loi précise que seul le mariage validé par un officier de l’état civil a des effets légaux. Cela implique que la majeure partie des unions célébrées dans le pays sont illégales.
Le problème: les mariages hors la loi (79%) et la pauvreté qui frappe plus les familles polygamique (52,6%).
— Mamadou Koulibaly (@M_Koulibaly) September 9, 2020
Conséquences: instabilité de la famille ( enfants de la rue) et insécurité pour ses membres, démographie incontrôlable.
Or la famille est la cellule de base de la société. https://t.co/QWsBHP7evm pic.twitter.com/g4fp06a8pU
Une enquête menée en 2015 par l’Institut national de la statistique (INS) a établi que les ménages polygames sont plus exposés à l’indigence que les autres. «Les individus vivant dans les familles élargies présentent plus de risque d’être pauvres car le taux de pauvreté pour ce type de ménage est de 52,6% et 38,8% des nécessiteux font effectivement partie d’un tel foyer», a indiqué l’enquête.
Une pratique tolérée mais taboue
De fait, les unions traditionnelles multiples ont toujours été tolérées en Côte d’Ivoire. Il est ainsi courant de rencontrer des ménages où, en plus de son épouse légale, l’époux entretient ou vit avec une ou plusieurs femmes qu’il a dotées ou épousées, conformément à sa coutume ou sa religion.
«Dans nos pays africains, la polygamie est encore fortement ancrée dans les mœurs, en particulier en milieu rural, mais porter le sujet sur la place publique se révèle paradoxalement tabou. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela, notamment le fait que la polygamie est une réalité sociologique qui touche à l’intimité des personnes, mais aussi parce qu’elle se heurte parfois au poids de la religion et des traditions».
Pour Mamadou Koulibaly, il faut mettre fin au «confort hypocrite d’une loi insensée qui n’a fait l’objet d’aucun référendum».
«Une réforme de la loi sur la famille et sur le mariage est absolument nécessaire pour les conséquences de ses deux institutions sur la démographie, la santé, l’éducation, l’emploi, la retraite, la sécurité et la pauvreté. Je propose un traitement des causes et non des effets», a-t-il déclaré dans un Tweet le 9 septembre.
Interrogé par Sputnik, Paul Kwadjané Agoubli, le délégué national chargé de la communication de Liberté et démocratie pour la République (Lider, parti de Mamadou Koulibaly), explique que «légaliser la polygamie, ce n’est pas favoriser les maîtresses comme certains l’affirment, c’est mettre la lumière sur une pratique derrière laquelle bien souvent des gens se réfugient pour fuir leurs responsabilités».
«Il est apparu dans de nombreux cas que lorsque l’on a légalisé la pratique, elle a eu tendance à reculer. De plus, il s’agit d’une loi qui sera votée, cela signifie que ceux qui n’y sont pas favorables auront le choix de dire non», a-t-il déclaré.
En tout état de cause, il n’est pas certain que toutes les explications que publie Mamadou Koulibaly sur les réseaux sociaux suffisent à calmer les ardeurs concernant un débat qui a démarré sur les chapeaux de roues et qui devrait se poursuivre encore longtemps.
Du moins, jusqu’au premier tour de l’élection présidentielle fixé au 31 octobre 2020.