C’est une bien étrange affaire dans laquelle s’est empêtrée l’Algérie Presse Service (APS). Le bras médiatique de l’État algérien s’est vu infliger une sévère mise au point du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme pour avoir diffusé une «information fallacieuse».
«La plainte a été rejetée pour plusieurs motifs, notamment "le contenu non conforme aux rapports de l’organisation des droits de l’homme en Algérie", certains signataires ayant des antécédents judiciaires, tous les signataires n’étant pas résidents en Algérie depuis une période de dix années et les initiateurs de la plainte étant détenteurs d’une double nationalité, dont certains n’ont même pas la nationalité algérienne», a écrit l’APS.
«Informations fabriquées»
L’information intrigue certains journalistes qui ne trouvent aucune trace de l’intervention de cet Issam Al Muhammadi sur Radio Monte Carlo Doualiya.
«Il n’existe aucun organe des Nations unies relatif aux droits de l’homme portant ce nom [Bureau des contentieux de l’ONU à Genève] et nous n’avons pu identifier aucun membre du personnel ou expert indépendant de l’ONU sous le nom de Issam Al Muhammadi. Bien qu’il existe un certain nombre d’organes des droits de l’homme qui reçoivent et examinent des plaintes de ce type, aucun d’entre eux ne mène une procédure accélérée en 24 heures», lit-on dans ce communiqué.
La mise au point est un véritable camouflet pour le média officiel algérien. Il faut dire que l’APS se situe au sommet de la hiérarchie de la communication institutionnelle du pays. L’Algérie Presse Service est même le bras médiatique de la présidence de la République. Ses journalistes, qui sont dans leur grande majorité des professionnels de l’information, vivent ce rappel à l’ordre de l’ONU comme une humiliation.
Le premier réflexe des responsables de l’agence a été de supprimer les dépêches écrites en arabe, français et anglais de sa plateforme web.
EDD en précurseur
Mais le mal est fait. La dépêche a été reprise par de nombreux médias, algériens et internationaux. Il faut dire que d’autres organes publics et même proches du pouvoir ont diffusé cette fausse information quelques heures avant l’APS, à l’instar du journal gouvernemental El Massa ou encore d’Al Djazaïr el Youm, site qui appartient à un conseiller du Président algérien.
«Je suis le rédacteur en chef d’EDD et nous sommes une dizaine de journalistes à animer ce site à travers plusieurs régions du pays. Notre chef c’est Sofiane, c’est lui le propriétaire du site. Il dirige le média à partir d’Alger», explique Amar Rahma qui réside dans la région de Constantine.
Yadjoura
Amar Rahma a accepté de mettre Sputnik en contact avec Sofiane Gaouaoui, le propriétaire d’EDD. Lors d’une première conversation téléphonique, celui-ci a affirmé ne pas être au courant de l’information fallacieuse que son média a publiée le 31 août. «Je ne sais pas de quoi il s’agit, il faut voir avec le rédacteur en chef.» Au cours d’un second échange, il a carrément employé un ton menaçant.
«Tu ne me connais pas, je suis Sofiane Yadjoura [la brique]. Je peux t’attaquer sur les réseaux sociaux. J’ai eu cette information grâce à une source. J’ai le droit d’écrire ce que je veux du moment que je n’ai pas d’agrément (du ministère de la Communication). Mais je t’interdis de citer mon média dans ton article. Un journaliste ne doit pas écrire sur un autre journaliste», a-t-il insisté.
Enquête en cours
Renseignement pris, Sofiane Yadjoura est un personnage très actif sur les réseaux, qui fait la promotion de la Badissia-Novembria, une mouvance anti-Hirak (le mouvement de contestation populaire contre le système politique en place en Algérie) qui aurait été initiée par le général Wassini Bouazza, ex-patron des renseignements intérieurs actuellement en détention dans une prison militaire.
Une autre énigme subsiste: qui a donné l’ordre à l’APS de diffuser cette fake news? La publication de dépêches «sensibles» au sein de l’agence officielle répond à des procédures très strictes. Contacté par Sputnik, Fakhredine Beldi, le directeur de l’Algérie Presse Service, a indiqué qu’il était en congés au moment des faits. «J’ai ordonné l’ouverture d’une enquête pour faire la lumière sur cette affaire», a-t-il souligné. Selon lui, les premiers éléments de cette enquête interne convergent vers EDD comme étant le premier média à avoir diffusé cette infox.