Ce lundi 29 juin 2020, de nombreux Algériens se sont remémoré Mohamed Boudiaf à l’occasion du 28e anniversaire de son assassinat.
Figure emblématique de la guerre de libération nationale, il avait quitté l’Algérie quelques années après l’indépendance pour s’exiler au Maroc. En janvier 1992, Mohamed Boudiaf était revenu au pays après avoir accepté le poste de Président du Haut comité d’État (HCE), une instance collégiale en charge provisoire des pouvoirs de chef de l'État à la suite de la démission du Président de la République Chadli Bendjedid. Les Algériens, qui avaient vécu trois décennies sous un régime politique dominé par le parti unique, ont alors découvert un dirigeant qui s’engageait à instaurer un système démocratique et à lutter contre la corruption.
Le 29 juin 1992, alors qu’il animait une conférence au centre culturel d’Annaba (550 km à l’est d’Alger), Mohamed Boudiaf était assassiné par Lembarek Boumarafi, sous-lieutenant du Groupement d’intervention spécial (GIS), une des unités d’élite des services de renseignement algériens.
«Ils vont le buter»
Accueillie avec scepticisme par l’opinion publique, la thèse de l’acte isolé avait pourtant été confirmée par la cour criminelle d’Alger qui avait condamné, en 1995, Lembarek Boumarafi à la peine capitale. Une exécution qui n’a jamais eu lieu en vertu d’un moratoire sur la peine de mort appliqué par l’Algérie à partir de 1993.
«Il était environ neuf heures du matin lorsque le rédacteur en chef est entré et a déclaré: "Aujourd'hui il vont buter Boudiaf à Annaba." […] Quelques heures plus tard, je suis rentrée chez moi et j'ai vu à la télévision la nouvelle dramatique de l’assassinat du Président Mohamed Boudiaf lors de son discours au Centre culturel d'Annaba. Mon Dieu, j'ai cru à la prophétie du rédacteur en chef, je suis montée dans ma voiture pour retourner rapidement au journal», a-t-elle écrit.
Ces propos font réagir immédiatement la communauté Facebook algérienne.
Pourquoi maintenant?
Les réactions sont multiples. Mais une question revient en boucle: pourquoi la directrice d’EL Fadjr a-t-elle attendu tout ce temps avant de témoigner? Contactée par Sputnik, Hadda Hazem affirme avoir livré le même témoignage en 2019, à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de Boudiaf.
«J’avais déjà publié un texte similaire le 29 juin 2019, lors du 27e anniversaire de la mort de Boudiaf, mais ma publication était passée totalement inaperçue. Je pense qu’à l’époque, les gens étaient plus concentrés sur le Hirak [mouvement de contestation populaire, ndlr]. En 1999, lorsque j’étais correspondante du journal El Youm à Annaba, j’avais écrit un article pour relater mon témoignage mais ce média ne l’avait pas publié. Par la suite, je reconnais que je n’ai pas souhaité relancer cette publication car il n’y avait personne pour me protéger. Le courage a ses limites», avoue Hadda Hadam.
L’ex-journaliste d’El Massa admet «avoir eu peur de représailles de la part de hauts responsables qui étaient encore en poste jusqu’à un passé récent». Dans sa publication, elle évite de donner l’identité de son rédacteur en chef et du directeur de la publication de l’époque. «Il s’agit d’El Hocine Messadek et de Chérif Annan, qui est actuellement à la retraite», a-t-elle révélé à Sputnik.
«Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que la prophétie du rédacteur en chef n’en était pas une et que le directeur d’El Massa était au ministère de la Communication pour recevoir des instructions sur la façon de gérer le meurtre. Ce crime a ouvert la porte à une décennie sanglante et même Aboubakr Belkaïd, le ministre de la Communication, n’y a n'a pas échappé puisqu’il a été assassiné deux ans plus tard par des terroristes», se souvient-elle
Hadda Hazem est formelle au sujet des propos tenus par El Hocine Messadek.
«Je n’ai pas écrit ce texte n’importe comment, j’ai demandé la permission à mon rédacteur en chef de l’époque. D’ailleurs, il m’a dit qu’il était prêt à témoigner. Ce 29 juin 1992, je n’étais pas seule avec El Hocine Messadek, il y avait Mohamed Allouache, Tahar Allaoui et Mohamed Bouazdia, nos collègues de la rubrique politique», insiste-t-elle.
Elle se dit cependant étonnée par l’absence de réaction de Nacer Boudiaf, le fils de Mohamed Boudiaf, qui a longtemps exigé la réouverture d’une enquête sur cet assassinat. «Je lui ai envoyé mon témoignage mais il n’a jamais répondu», souligne Hadda Hazem.
— le HIC (@HicCartoons) June 28, 2017
Ce témoignage vient apporter de l’eau au moulin de ceux qui, nombreux encore en Algérie, rejettent l’hypothèse de l’acte isolé perpétré par un sous-lieutenant prétendument acquis à la cause islamiste qui décimait l’Algérie en ce début de décennie noire. Une partie de l’opinion publique estime toujours, en effet, que Lembarek Boumarafi n’est qu’une sorte de «hurricane» algérien et que l’assassinat est plutôt l’œuvre de membres de la «mafia politico-financière» que Mohamed Boudiaf n’a cessé de dénoncer durant son cours passage à la tête de l’État.
C’est notamment la thèse soutenue par Nacer Boudiaf, qui a appelé plus d’une fois à la libération de l’assassin «officiel» de son père en accusant de hauts responsables militaires –dont certains sont restés aux commandes sous le Président Bouteflika (1999-2019)– d’avoir été les véritables commanditaires du meurtre.
Dans une interview donnée il y a quelques années au média algérien TSA, il accuse:
«Mohamed Boudiaf les dérangeait car ses objectifs étaient clairs: l’élimination des mafias, la sauvegarde de l’Algérie et la démocratisation du système. Ce qu’ils n’ont jamais accepté.»