«La France, intervenant dans le conflit entre la Turquie et la Grèce, affiche un impérialisme qui ne correspond pas à la situation internationale actuelle». Les mots sont du porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, Hami Aksoy. Prononcés le 31 août, ils font directement écho aux propos d’Emmanuel Macron, qui avait affirmé dans Paris Match le 20 août dernier que la Turquie menait une «politique expansionniste», mêlant «nationalisme et islamisme» et qu’elle serait donc un «facteur de déstabilisation» dans la région.
«L’objectif stratégique de la Turquie est de faire renoncer les Grecs au plateau continental et aux zones économiques autour des îles, en se mettant en position de force. En cela, le Président turc fait preuve de révisionnisme, il veut s’affranchir de tous les traités internationaux pour imposer de nouvelles sphères d’influence.»
La Turquie a signé un accord avec la Libye en novembre 2019 afin d’étendre son territoire maritime et sa zone économique exclusive (ZEE). Un accord dénoncé par la Grèce, qui a elle-même passé des accords avec l’Italie et l’Égypte afin de se prémunir de la volonté hégémonique turque dans la région, accords ratifiés par le parlement grec le 26 août dernier.
Erdogan se nourrit de la «pusillanimité occidentale»
La Grèce, appuyée par ses partenaires européens et en particulier par la France, qui a dépêché une frégate et trois chasseurs sur place, a multiplié les exercices militaires en mer Égée pour contrer les velléités turques. Des manœuvres qualifiées d’actes de «piraterie» et de «banditisme» par Erdogan, qui menace la Grèce de conflit ouvert:
«Lorsqu’il s’agit de combattre, nous n’hésitons pas à donner des martyrs. La question est la suivante: ceux qui s’érigent contre nous en Méditerranée et au Proche-Orient sont-ils prêts aux mêmes sacrifices? […] À nos ennemis, nous disons “chiche!”»
Une position belliciste assumée qui n’a pourtant rien d’étonnant si l’on en croit Tigrane Yégavian, auteur notamment de Minorités d’Orient (Éd. du Rocher, 2019), tant Erdogan profite de l’inertie des pays de l’UE dans la région:
«Ne comprenant que le rapport de forces, le Président turc se nourrit des crises régionales, de la pusillanimité des Occidentaux en général et des divisions européennes en particulier pour affirmer sa puissance. Sa stratégie en Méditerranée s’inscrit en droite ligne du néo-ottomanisme», souligne-t-il à Sputnik.
Autrement dit, les volontés expansionnistes actuelles de la Turquie seraient une tentative de réhabilitation de la grandeur de l’Empire ottoman, officiellement démantelé en 1923, mais psychologiquement fragilisé par la signature du traité de Sèvres avec les Alliés en 1920. Jamais appliqué, ce dernier n’en a pas moins traumatisé les Turcs, qui selon Tigrane Yégavian «ne sont pas tout à fait guéris du "syndrome de Sèvres"». Notre interlocuteur rappelle de surcroît que «la transformation de Sainte-Sophie [en mosquée, ndlr.] participe de cette stratégie d’affirmation de la puissance et de tentative d’imposer un nouveau monde néo-national qui profite du recul du multilatéralisme et du retrait américain.»
Démodées, les lignes rouges?
Dès lors, la France, plus grand pays occidental possédant une côte méditerranéenne, a-t-elle un rôle à jouer dans ce qui n’est pour le moment qu’un conflit diplomatique et économique entre la Turquie et la Grèce? L’intérêt est d’abord économique, car les fonds sous-marins explorés par les Turcs sont riches en hydrocarbures. Total s’est d’ailleurs «vu accorder des licences d’exploitation en Méditerranée orientale», comme le précise Tigrane Yégavian, avant d’ajouter que l’entreprise pétrolière française était devenue de fait une «rivale stratégique pour la Turquie dans la région».
«Ceux qui croient tracer des lignes rouges ne feront que constater notre détermination. Il est temps, pour ceux qui se voient dans un miroir grossissant, d’accepter la réalité: l’époque où les impérialistes traçaient les lignes sur les mappemondes est révolue. La Turquie est capable de retenir tous ceux qui essaient d’usurper ses droits et intérêts légitimes en envoyant une armada.»
Le spectre du casus belli semble plus que jamais d’actualité dans la région.