Depuis ce lundi 24 août, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo est en tournée au Moyen-Orient pour multiplier les initiatives de normalisation entre les pays de la région et Israël. Au programme, quatre destinations en six jours: Israël, Soudan, Bahreïn et Émirats arabes unis.
Un voyage diplomatique qui en a surpris plus d’un, au Moyen-Orient comme aux États-Unis. Ces visites sont généralement prévues longtemps à l’avance et la presse en est avertie. Pas cette fois. Le département d’État a officiellement annoncé cette tournée diplomatique deux heures avant le décollage de la délégation américaine. De surcroît, seule une journaliste a été conviée au voyage, un fait rare pour une visite de cette ampleur. Et la diplomatie américaine a affirmé qu’il n’y aurait aucune conférence de presse durant ces six jours.
Tournée plus médiatique que diplomatique?
Pourquoi donc une tournée aussi précipitée et organisée de la sorte? Officiellement, celle-ci s’inscrit dans la logique de normalisation des relations entre Israël et différents pays arabes. Les États-Unis se veulent ainsi les intermédiaires entre l’État hébreu et les pays arabes ayant une volonté de nouer ou renouer des liens avec celui-ci. À l’image de l’accord conclu le 13 août dernier entre Israël et les Émirats arabes unis.
#Israel : Le chef de la diplomatie américaine @SecPompeo @mikepompeo s’est dit « optimiste » de voir « d’autres pays arabes » normaliser leurs relations avec Israël dans la foulée de l’accord entre l’Etat hébreu et les #EmiratsArabesUnis. pic.twitter.com/2RhbM4L6D1
— ECOMNEWSMED (@ecomnewsmed) August 25, 2020
Le calendrier de ce voyage interroge tout de même. Surtout du côté des Démocrates américains qui voient dans cette offensive un moyen de renforcer Donald Trump politiquement au moment de la convention républicaine. Des soupçons éveillés par le fait que Mike Pompeo est l’un des intervenants à cette convention, par vidéoconférence évidemment.
Ainsi sont-ils vent debout contre cette tournée diplomatique qu’ils considèrent être une utilisation à des fins de politique intérieure d’un sujet qui, aux États-Unis, est censé dépasser les clivages partisans de politique politicienne.
Secretaries of State have long taken pains to avoid mixing diplomacy with domestic politics. Doing so puts a stain on our nation’s foreign policy and our electoral process.
— Senator Bob Menendez (@SenatorMenendez) August 24, 2020
We must refuse to normalize the abuses that continue to plague the Trump Administration. https://t.co/4YHefC4Dg5
traduction: Les secrétaires d'État se sont longtemps efforcés d'éviter de mélanger la diplomatie et la politique intérieure. Ce faisant, ils entachent la politique étrangère de notre pays et notre processus électoral. Nous devons refuser de normaliser les abus qui accablent l'administration Trump.
Même son de cloche chez les organisations américaines juives liées au parti démocrate. La tournée diplomatique du secrétaire d’État américain Mike Pompeo au Moyen-Orient révélerait «les efforts du Président pour politiser les relations américano-israéliennes», s’inquiète Halie Soifer, directrice exécutive du Jewish Democratic Council of America. «Trump utilise à nouveau Israël pour marquer des points politiques», ajoute-t-elle.
Une normalisation déjà compromise avec les Émirats?
Un contexte qui met la diplomatie outre-Atlantique dans une situation particulièrement délicate, indique au micro de Sputnik Jean-Éric Branaa, spécialiste de la politique américaine et auteur du livre Rien ne sera plus comme avant: l’Amérique au temps du coronavirus, paru le 8 avril dernier aux éditions VA:
«D’une part, on a la poursuite de la politique de Donald Trump qui est de permettre un rapprochement entre les pays arabes et Israël dans le but d’une pacification dans la région. D’autre part, on n’a jamais vu un ministre des Affaires étrangères intervenir dans une convention politique, encore moins depuis un pays étranger.»
En effet, depuis la loi Hatch en 1939, les employés fédéraux américains, dont font partie les diplomates, ne sont pas censés s’engager dans des activités politiques partisanes. Or, ce que fait Mike Pompeo:
«Donne l’impression que le secrétaire d’État est dans un camp, face à un autre qui serait représenté par Joe Biden, alors que ce dernier pourrait être demain le Président des États-Unis», souligne Jean-Éric Branaa.
Pour lui, «il y a un porte-à-faux presque gênant pour les diplomates américains car ils doivent se demander comment on doit regarder leur action dans les différents pays». Et ce, même si le cabinet de Mike Pompeo a nié en bloc que des ressources du ministère avaient été impliquées de près ou de loin dans cette intervention.
Jared Kushner aussi en tournée diplomatique au Moyen-Orient
Aux États-Unis, et en particulier dans les cercles conservateurs, apparaître comme le bouclier d’Israël est souvent très bien vu, notamment chez les 80 millions d’évangélistes que compte l’Amérique et dont 81% ont voté pour Trump en 2016. Cette mécanique électorale fait d’Israël un enjeu géopolitique crucial durant les campagnes.
Donald Trump le sait, il n’a d’ailleurs pas manqué de le rappeler la semaine dernière en vantant sa décision de déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem: «Ça, c'est pour les évangéliques» qui «sont plus enthousiastes à ce sujet que les juifs.»
“And we moved the capital of Israel to Jerusalem. That’s for the Evangelicals. You know, it’s amazing with that: the Evangelicals are more excited by that than Jewish people.” pic.twitter.com/nO8aIzuZJa
— David Pinsen (@dpinsen) August 17, 2020
Cette tournée diplomatique apparaît d’autant plus cosmétique aux yeux des Démocrates que le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, véritable cerveau derrière la politique israélienne des États-Unis depuis le début du mandat Trump, effectue une visite parallèle, beaucoup moins médiatisée. Et lui n’interviendra pas lors de la convention démocrate.