Béni Mellal, Khénifra, Khouribga et Oued Zem, ces quatre villes du centre du Maroc sont sorties de l’anonymat ces dernières années mais de la pire des manières. Depuis 2014, une nouvelle forme de cybercriminalité s’y développe. Il s’agit de la «sextorsion» (contraction de «sexe» et «extorsion»), une pratique illégale qui consiste à extorquer de l'argent en faisant pression sur des personnes préalablement filmées à leur insu dans des positions sexuelles compromettantes. Les Mellalis, les Khénifris et leurs voisins surnomment ce chantage «l’arnaque». Leurs jeunes, en quête d’argent facile, en usent et abusent. L’ampleur de ce phénomène dans la région est telle que chaque mois apporte son lot d’arrestations, de démantèlements de réseaux et de condamnations.
«Nous recevons huit appels à l’aide par jour en moyenne de la part de victimes marocaines et étrangères de cette calamité. Lorsque l’on creuse, on trouve que dans 70% de ces cas de sextorsion, les auteurs viennent du centre du pays, plus exactement des régions de Khouribga et Oued Zem», affirme à Sputnik Réda Lakbir, vice-président de l’association marocaine de protection des victimes de webcams et de lutte contre le chantage qui combat le fléau depuis 2007.
Sans attrait, Oued Zem est une petite ville de 100.000 habitants. Située à l’ouest de la région de Béni Mellal-Khénifra, elle a déjà été qualifiée à plusieurs reprises de «capitale mondiale de la sextorsion» par des médias anglais. Et pour cause! C’est là que sont nées les premières étincelles de «l’arnaque».
Reportage vidéo réalisé par la BBC en 2016 sur le fléau de la sextorsion dans la région d'Oued Zem.
«Oued Zem reste le bastion et le cœur battant de ce fâcheux phénomène. C’est de là que cette pratique s’est répandue dans les villes voisines», explique Réda Lakbir.
À l’école de l’arnaque
Hamza, 21 ans, fait partie de cette première fournée de maîtres chanteurs qu’évoque le militant associatif. Depuis sa naissance, le jeune homme vit avec ses parents dans un quartier populaire d’Oued Zem. Contacté par Sputnik, il explique comment il est tombé dans le «piège de l’arnaque». «Je n’avais que 16 ans lorsque j’ai commencé. J’avais entendu parler de cette technique facile qui fait gagner beaucoup d’argent à l’école. J’étais curieux d’en savoir plus. Donc je me suis renseigné sur Internet et c’est là que j’ai découvert ce monde. Mais ma curiosité s’est vite transformée en addiction», regrette le jeune homme qui, même aujourd’hui, peine à décrocher.
«Tout commence par une discussion sur les réseaux sociaux. On utilise de faux profils avec des photos de femmes attirantes pour séduire la victime. On échange, la confiance s'installe... Puis on propose à notre interlocuteur d'allumer la webcam. À l’aide de logiciels téléchargés sur Internet qui font passer en live une fausse vidéo, on lui fait croire qu’il est en train de discuter pour de vrai avec la jeune femme. Rapidement, on l’invite à se déshabiller. C’est là qu’on commence à filmer… Pris au jeu, la plupart s’exhibent, certains vont jusqu'à se livrer à des actes intimes devant leur écran. C’est après cet échange que le piège se referme et que le cycle du chantage débute», détaille Hamza en peinant à cacher sa gêne.
«On poste la vidéo sur un compte YouTube privé et on envoie le lien à la victime en le menaçant de le rendre public. On lui explique clairement que si elle ne nous paie pas tout de suite, on diffusera la séquence sur les réseaux sociaux et on l’enverra à toute sa famille et ses amis. Bien souvent, paniquée, la victime finit par payer parfois jusqu’à 10.000 dirhams (environ 1.000 euros)», poursuit le jeune homme.
Business parallèle
L’argent de l’arnaque aurait contribué à faire bouger l’économie d’Oued Zem. Ces six dernières années, le business juteux de la sextorsion a fait fleurir les bureaux de transfert d'argent. Le nombre de cybers et de cafés s’est aussi multiplié dans cette zone classée par le Haut-commissariat au plan (HCP, institution chargée de statistiques officielles au Maroc) comme la région la plus pauvre du royaume.
«Lorsque l’on vit sans emploi, dans la pauvreté la plus extrême –et c’est le cas pour la plupart de ceux qui comme moi se sont lancés dans ce business–, naturellement on fait tout notre possible pour s’en sortir, pour aider nos familles. Une fois dedans, il est très difficile d’échapper à cet engrenage», confie Hamza avec un long soupir.
De l’autre côté de l’écran, le choc est brutal pour les victimes. Pour la plupart, elles sont originaires des pays du Golfe ou anglo-saxons.
Wayne May en est le fondateur. Interrogé par Sputnik, il affirme lui aussi que la région du centre du Maroc est l’une des principales sources de sextorsion identifiées par son collectif dans le monde et qui touchent les internautes anglais. May estime le nombre de maîtres chanteurs marocains à «des milliers». «Rien que pendant les deux derniers mois, leur nombre a considérablement augmenté, selon nos données», souligne-t-il. Nos interlocuteurs insistent sur l’importance pour les personnes piégées de ne pas céder aux menaces.
«Il faut rester calme et surtout ne pas payer. La peur est le plus grand piège qu’il faut éviter. Sinon, on entre dans un cercle vicieux. Quoi qu’il en soit, il faut surtout en parler dans son entourage au lieu d’encaisser le coup en silence», avisent-ils.
Gare à l’omerta!
Spécialiste dans les affaires de cyberharcèlement, maître Saïd Naoui invite lui aussi les victimes de sextorsion marocaines et étrangères à briser le silence.
«L'interception, l'enregistrement, la diffusion ou la distribution de paroles ou d'informations émises dans un cadre privé ou confidentiel, sans le consentement de leur auteur, est sanctionné par une peine d'emprisonnement de six mois à trois ans et une amende de 2.000 (environ 200 euros) à 20.000 dirhams (près de 2.000 euros).»
Sauf que ni la loi ni les multiples incarcérations qui découlent de son application ne semblent dissuader les arnaqueurs. Comme Hamza, ils sont nombreux à penser que la sextorsion est la seule solution à leur désœuvrement.