«Il y un écart non pas de 7 millions mais de 2,4 millions, qu’il nous reste à investiguer, sur lequel nous travaillons», a assuré le 27 juillet dernier Dorastella Filidori, cheffe de la mission de lutte contre la fraude sociale à la Direction de la Sécurité sociale (DSS).
La fraude à la Sécu n’a pas fini de faire parler d’elle. L’écart évoqué est «pratiquement de l’ordre de 10%» avec la population française, a réagi le député du Bas-Rhin Les Républicains (LR) Patrick Hetzel, président de la Commission d’enquête parlementaire relative à la lutte contre la fraude aux prestations sociales, dans l’attente d’éclaircissements sur une telle situation.
Un sous-total qu’elle compare ensuite au chiffre de 67 millions d’habitants estimé au 1er janvier par l’Insee et auquel elle ajoute, «pour avoir un périmètre comparable», les différents ayants droit vivant à l’étrangers (retraités, expatriés, personnes détachées, etc.), pour «parvenir à 69 millions».
Des fraudeurs jeunes et ne vivant pas en France
Qui sont donc ces 2,4 millions de «fantômes» qui «passent à la caisse tous les mois», comme les a présentés à plusieurs reprises l’ancien juge d’instruction Charles Prats, magistrat au TGI de Paris, spécialiste de la lutte contre la fraude fiscale et sociale?
L’emploi du terme de «fraudeur» pique les oreilles des hauts fonctionnaires de la DSS qui parlent plus d’éventuels «abus» de personnes «qui n’ont pas forcément réalisé qu’elles n’avaient plus de droits ouverts», ou encore d’un «ordre de grandeur» quant au chiffre de deux millions d’ayants droit aux prestations sociales en trop à leur registre.
«On a déjà exclu une hypothèse: ce ne sont pas des personnes retraitées, des centenaires», répondait juste avant Dorastella Filidori. Une réponse qui ne manque pas de piquant, dans la mesure où un rapport parlementaire de la députée LREM Nathalie Goulet et de la sénatrice UDI Carole Grandjean, rendu en septembre 2019, avait déniché pas moins de 3,1 millions de centenaires à la charge de la Sécurité sociale… alors même que l’Insee n’en recensait que 21.000 dans l’Hexagone en 2016.
«On sait que c’est une population active –donc c’est la tranche d’âge 24-60 ans qui est concernée», continue la cheffe de mission de lutte contre la fraude sociale à la DSS.
«Probablement, il doit s’agir, en particulier ou en majorité, de personnes qui ne sont pas résidentes en France actuellement ou qui ont quitté le territoire depuis plus ou moins longtemps. Plusieurs mois peut-être, plusieurs années. C’est ça qu’il nous faut investiguer», poursuivra finalement Franck Von Lenner.
Un problème détecté… depuis sept ans
Si la DSS se cache derrière les chiffres de la Cour des comptes (CdC), les Sages de la rue Cambon, qui certifient les comptes de la Sécurité sociale, avaient également été auditionnés en mai dernier. Notamment quant au fait que l’important surnombre –tant de personnes prises en charge par l’assurance-maladie que de cartes vitales– avait été mis en lumière par l’Inspection générale des finances et l’inspection des affaires sociales… dès septembre 2013.
Ce rapport estimait à 6,7 millions le delta entre personnes à charge et résidant en France, et à pas moins de 8 millions le nombre de cartes Vitale en trop, soit «13% des cartes actives», s’étranglait la députée LR Valérie Boyer. Un nombre qui n’a cessé de fondre comme neige au soleil depuis le début des travaux de la commission d’enquête, il y a six mois. «Il n’en reste à ce jour que 152.000, d’après le chiffre de ce matin», ne manque pas de mettre en avant Franck Von Lenner, assurant que des «plans d’action» sont mis en œuvre «depuis plusieurs mois».
Des estimations envers lesquelles les députés redoublent de prudence. En effet, lors de son audition le 11 février, Mathilde Lignot-Leloup, à la tête de la DSS, admettait l’existence d’«environ» 2,6 millions de cartes Vitale en trop en circulation. Mais 48h plus tard, un communiqué de la DSS venait contredire ces déclarations sous serment devant la représentation nationale pour affirmer que ce chiffre n’était que de 609.000 fin 2019.
Une attitude qui avait choqué les élus et pas seulement ceux siégeant à la commission.
«Je pense qu’elle n’a pas fait l’ENA mais Poudlard, l’école de Harry Potter, car je ne vois pas comment elle a pu faire disparaître aussi vite deux millions de cartes Vitale!», avait alors raillé une semaine plus tard la sénatrice centriste Nathalie Goulet, lors de sa propre audition.
«L’ensemble des commissaires avaient été choqués de la manière dont les choses s’étaient passées, c’était assez indigne il faut bien le dire», a ainsi sermonné Patrick Hetzel, le nouveau directeur de la DSS, en tout début d’audition. De son côté, Mathilde Lignot-Leloup a quitté la direction de la Sécurité sociale pour rejoindre en juin… la Cour des comptes, où elle est devenue conseillère maître, rejoignant ainsi ceux-là mêmes qui sont en charge d’auditer les comptes de la DSS.
Là il va falloir nous expliquer: comment ce chiffre peut-il passer de 2,6 Millions à 600.000 en 48 heures alors que sous serment la directrice de la sécurité sociale nous a bien déclaré que ce chiffre était de 2,6 Millions La représentation nationale doit savoir qui dit vrai ! https://t.co/wfxgvLbDvc
— Patrick Hetzel (@patrickhetzel) February 13, 2020
Une vérité qui déplaît à gauche… et aux journalistes
Malgré la succession de ces auditions de la commission d’enquête, certains journalistes s’entêtent pourtant à ne brandir que les résultats d’un unique rapport parlementaire, celui du sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe qui, dans une enquête présentée en juin 2019, estimait, sur la base de 2.000 dossiers jugés «représentatifs», le préjudice causé par les fraudes à l’immatriculation à la Sécurité sociale par des personnes nées hors de France «entre 200 et 802 millions d’euros» depuis… 1988. En somme, que la fraude sociale n’aurait rien de comparable à la fraude fiscale, à cette «délinquance en col blanc» qu’il est, dans l’Hexagone, beaucoup plus politiquement correct de dénoncer.
En 2018, déjà, lorsque la proposition d’ouvrir une enquête parlementaire avait été évoquée, la gauche avait brandi l’argument de la «chasse aux pauvres».
Ce type d’épisode prêterait à sourire si les prestations sociales en France ne représentaient pas, chaque année, près de 800 milliards d’euros, dans un pays où les prélèvements obligatoires sont les plus lourds du monde. De son côté, face à un déficit grandissant de la Sécu (50 milliards en 2020), le gouvernement plancherait notamment sur une nouvelle sous-revalorisation des pensions de retraite.