Rapport sur la corruption au Togo: cache-t-on les véritables chiffres du fléau?

© AFP 2023 Issouf SanogoFranc CFA
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La société civile togolaise ne cache pas son profond désaccord avec la Haplucia, l’autorité étatique chargée de lutter contre la corruption. Les chiffres publiés dans un récent rapport de cette structure seraient loin de refléter l’ampleur et la réalité du fléau dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest.

Au Togo, économistes et acteurs de la société civile critiquent les résultats d’un rapport officiel jugé «minimaliste», portant sur la perception et le coût de la corruption sur une année fiscale dans le pays.

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Menée entre décembre et janvier 2020 auprès de 2.645 personnes et 400 petites sociétés par la Haplucia (Haute autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées) créée en 2015, l’enquête a été publiée le 6 août dernier. Elle révèle que près de 10 milliards de francs CFA (15 millions d'euros) sont versés chaque année au Togo sous la forme de pots-de-vin, par des particuliers et des entreprises à des fonctionnaires véreux.

«Une estimation a minima», a dénoncé la Ligue togolaise des consommateurs, une organisation de la société civile engagée sur les questions de corruption dans le pays. Emmanuel Sogadji, le président de cette organisation interrogé par Sputnik, trouve que la Haplucia n’a pas démontré dans cette enquête qu’elle est capable de mener la bataille contre «un fléau qui est un véritable obstacle à la bonne gouvernance et au développement du Togo».

«La lutte contre la corruption ne doit en aucun cas s’assimiler à un jeu pour plaire à autrui. Si la corruption coûtait seulement 10 milliards par an au Togo, le pays ne se plaindrait pas du manque de ressources pour son développement», a-t-il déclaré.

Il soutient par ailleurs que l’efficacité de la lutte passe avant tout par la réalité des chiffres par secteur, l’identification des acteurs impliqués, les détournements de fonds et la sanction. «Si les auteurs ne sont pas sanctionnés, les réformes ne sont alors plus utiles et vive l’impunité», a-t-il ajouté.

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Approché par Sputnik, l’économiste togolais Nadim Khalif soutient que la Haplucia n’a pas «osé aller plus loin que la petite corruption» qui couvre, dit-il, les petits dessous de table «soit pour dire merci ou accélérer un dossier». Alors même qu’il y a «un niveau moyen et un autre plus redoutable (la grande corruption) pour l’économie togolaise qu’il faut prévenir et réprimer».
Au titre de cette grande corruption non prise en compte par l’enquête de la Haplucia, Nadim Khalif relève «les tonnes de phosphates qui sortent du Togo sans contrôle», «les recettes fiscales des grandes entreprises non entièrement reversées au fisc» pour servir au budget national, «les fausses déclarations de dépenses sur des voyages effectués à l’étranger et les transferts de capitaux qui passent par Lomé avec la complicité des banques et du pouvoir en place».

«Selon la Banque africaine de développement, la grande corruption représente 30% du PIB dans les pays africains. Si on applique ce taux au PIB du Togo, elle coûterait donc à l’économie togolaise entre 800 et 1.000 milliards de francs CFA (1,2 et 1,5 milliard d’euros). Le chiffre de 10 milliards de cette enquête, pour moi, c’est n’importe quoi», s’insurge Nadim Khalif.

Il estime cependant que «c’est un bon début» et encourage cet organe d’État à aller plus loin.

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La Haplucia a annoncé qu’elle se servirait du rapport d’enquête pour doter le pays d’une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la corruption au Togo. Pour les différents interlocuteurs de Sputnik, cette stratégie ne saura pallier ce fléau puisqu’elle se sera basée sur des données qui ne sont «pas précises». Pas de contre-données produites, en revanche, alors que l’enquête de la Haplucia s’est tout de même appuyée sur des chiffres fournis par l’Institut national de la Statistique et des études économiques et démographiques.

Au Togo, la presse locale fait régulièrement cas de détournements de fonds et de faits de corruption présumés non élucidés. Leurs auteurs présumés, eux, n’ont jamais fait l’objet de procédure devant la justice. Dernière révélation en date, une enquête journalistique dévoilant «un détournement de plus de 400 milliards de francs CFA» (près de 6,1 millions d’euros) dans la commande des produits pétroliers. Officiellement, aucune déclaration n’est faite à ce sujet. Mais une source gouvernementale a confié à Sputnik que «le Président de la République prend au sérieux toutes ces révélations et agira».

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