Présidentielle ivoirienne: Ouattara candidat, un «sacrifice» au goût amer pour l’opposition

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C’est désormais officiel, Alassane Ouattara est, pour la troisième fois, en lice pour un mandat présidentiel en Côte d’Ivoire. Le chef de l’État sortant de 78 ans évoque un cas de force majeure pour justifier sa candidature que l’opposition, de son côté, juge anticonstitutionnelle.
«Je suis candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020. Je peux vous assurer que cette décision, mûrement réfléchie, est un devoir que j’accepte dans l’intérêt supérieur de la nation, afin de continuer de mettre, sans relâche, mon expérience au service de notre pays.»

C’est désormais chose faite! Le Président ivoirien Alassane Dramane Ouattara (ADO), 78 ans, a annoncé lui-même sa candidature à sa propre succession, dans une allocution diffusée le 6 août au soir sur la télévision ivoirienne.

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 Depuis le décès, le 8 juillet dernier, de son Premier ministre et dauphin désigné Amadou Gon Coulibaly, les partisans et le parti d’ADO, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le priaient de se représenter. Il vient de leur répondre par l’affirmative, à la veille du 60e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Certainement pas une coïncidence.

Un «sacrifice» pour la nation

Le 5 mars dernier, devant les parlementaires ivoiriens, Alassane Ouattara avait pourtant solennellement annoncé son intention de ne pas rempiler à la tête de l’État et, surtout, de transférer le pouvoir à la jeune génération.

Sa décision avait été saluée un peu partout sur le continent africain –qui connaît une «poussée de fièvre du troisième mandat» (mandats brigués après les deux que permettent les constitutions dans nombre de ces pays)– et au-delà.

Pour justifier sa volte-face qu’il a présentée comme «un vrai sacrifice», le Président sortant évoque un «cas de force majeure» né, bien sûr, de la disparition d’Amadou Gon Coulibaly en qui le RHDP avait placé tous ses espoirs de conserver le pouvoir dont il tient les rênes depuis 2011. Mais pas que cela.

«Les défis auxquels nous sommes confrontés pour le maintien de la paix, la sécurité nationale et sous-régionale ainsi que la nécessité de juguler la crise sanitaire; le risque que tous les acquis, après tant d’efforts et de sacrifices consentis par toute la population, soient compromis; le risque que notre pays recule dans bien des domaines: tout cela m’amène à reconsidérer ma position», a poursuivi le Président ivoirien.

Problème: l’opposition juge anticonstitutionnelle cette aspiration à un troisième mandat, la Constitution ivoirienne en limitant le nombre à deux.

Le scénario a déjà été observé –avec succès– dans d’autres pays africains. De nouvelles constitutions, dépourvues d’effet rétroactif, ont permis à des dirigeants en poste de rempiler en faisant repartir le compteur à zéro. C’est notamment le cas dans le Tchad d’Idriss Deby, après la promulgation de la Constitution de 2018. 

La Constitution ballottée

L’ancien Président Henri Konan Bédié, le plus grand rival d’Alassane Ouattara (en plus de l’autre ancien Président Laurent Gbagbo) et postulant, lui aussi, à 86 ans, à la magistrature suprême, est formel: toute nouvelle candidature de l’actuel chef d’État «serait illégale».

Mais pour le ministre d’État et secrétaire général de la présidence Patrick Achi, réagissant le 6 août (dans la foulée de l’annonce d’Alassane Ouattara) sur une chaîne de télévision française, il ne s’agirait en réalité, en cas d’élection, pas d’un troisième mandat pour Alassane Ouattara mais plutôt du premier.

En effet, Patrick Achi a argué du fait qu’avec la nouvelle Constitution de 2016, approuvée à 93% par les Ivoiriens, les compteurs seraient remis à zéro et par conséquent, Alassane Ouattara briguerait en octobre son «premier mandat de la troisième République».

Face à cet imbroglio, l’analyste politique Mamadou Habib Karamoko, interrogé par Sputnik, conseille de ne pas «sombrer dans le juridisme».

«En 2010 et même avant, la Côte d’Ivoire a sombré dans le chaos pour des raisons d’interprétation des lois. Ce qu’il faut savoir, c’est que les questions juridiques sont d’une élasticité incroyable que chacun fait ployer en fonction de ses intérêts ou de sa compréhension. Le Président Alassane Ouattara, s’appuyant sur ses experts, estime que la Constitution lui permet de se présenter. L’opposition émet un avis contraire. Retenons juste qu’en dernier ressort, il revient au Conseil constitutionnel de trancher. Et il serait souhaitable que sa décision soit acceptée de tous et que le meilleur gagne», a-t-il déclaré.

Pour Mamadou Habib Karamoko, à moins de trois mois de la présidentielle, plutôt que de «s’arc-bouter» sur ce débat de l’éligibilité, l’opposition gagnerait à «affûter ses armes et à proposer une offre politique de qualité aux Ivoiriens».

Un nouveau risque de troubles majeurs

En Côte d’Ivoire, le souvenir des violences postélectorales de 2010-2011, et des plus de 3.000 morts qu’elles ont occasionnés, demeure vivace dans les esprits. Ils sont nombreux ces Ivoiriens qui observent, inquiets, les événements politiques de ces derniers mois avec un sentiment de déjà-vu.

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Si Alassane Ouattara affirme que «toutes les conditions sont réunies pour que l’élection présidentielle à venir soit transparente, juste, ouverte et également apaisée», l’opposition, elle, est loin de partager cet avis. Celle-ci réclame, entre autres, une Commission électorale indépendante (CEI) plus consensuelle.

Lors de la présidentielle de 2010, la CEI, la structure chargée d’organiser le scrutin en Côte d’Ivoire, avait été au cœur des contestations qui avaient débouché sur la crise postélectorale. Cette dernière s’était déclenchée après que le Président sortant, Laurent Gbagbo, reconnu vainqueur par le Conseil constitutionnel, et Alassane Ouattara (soutenu en ce temps-là par Henri Konan Bédié), proclamé comme tel par la CEI, avaient chacun revendiqué la victoire.

Une alliance pour faire barrage

Pour la présidentielle de 2020, les anciens Présidents Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo entendent bien s’allier, assure le premier, pour faire barrage à Alassane Ouattara. Même si Laurent Gbagbo, dont la candidature est pressentie, est encore aux prises avec la justice internationale et devra très certainement batailler pour faire accepter aux autorités ivoiriennes son retour au pays, où il a écopé en 2018 (lors d’un procès par contumace) d’une peine de 20 ans de prison pour le braquage de l’Agence nationale de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise postélectorale.

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Cette alliance Bédié-Gbagbo devrait être renforcée par l’appui d’un ancien fidèle d’Alassane Ouattara mais qui compte désormais parmi ses plus farouches opposants, à savoir l’ex-président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro –candidat également à l’élection de 2020–, actuellement en exil en France et sur qui pèse un mandat d’arrêt international.

Au vu de tous ces paramètres, le risque d’une nouvelle flambée de violences en 2020 semble bien réel. Cependant, au micro de Sputnik, Innocent Gnelbin, président de Force aux peuples, un parti allié au RHDP et qui soutient la candidature d’Alassane Ouattara, invite à balayer les inquiétudes:

«Évidemment, il est légitime de craindre de nouvelles violences, d’autant que les exemples des présidentielles de 2000 et 2010 pourraient le laisser croire. Seulement, nonobstant la marche d’une opposition belliqueuse qui a refusé de faire de la politique et qui, aujourd’hui, souhaite ardemment une transition, les institutions sont solides et les Ivoiriens moins favorables à l’aventure. Je ne pense pas qu’il y aura une grave crise. Le pays est gouverné», a-t-il déclaré.
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