Malgré la promesse d’Alassane Ouattara, l'année 2020 risque d'être tout sauf «paisible»

© AFP 2024 SIA KAMBOUDes policiers anti-émeutes face aux membres du GPS (le parti de Guillaume Soro).
Des policiers anti-émeutes face aux membres du GPS (le parti de Guillaume Soro). - Sputnik Afrique
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Entre les tensions qui se font de plus en plus vives entre le Président Alassane Ouattara et son ex-allié Guillaume Soro, l’absence de consensus autour de la commission électorale ou encore les modifications envisagées de la Constitution, l’année 2020 ne s’annonce pas de tout repos pour les Ivoiriens. Analyse.
«À l’instar de 2015, l’année 2020 sera une année électorale paisible. Je vous en fais la promesse», a déclaré le 31 décembre le Président Alassane Ouattara, lors de son traditionnel discours de Nouvel An.

Fait inédit cette année, l'ancien président Henri Konan Bédié et l'ex-président de l'Assemblée nationale Guillaume Soro, deux ex-alliés d’Alassane Ouattara qui comptent désormais parmi ses plus farouches opposants, se sont, dans le même temps, également fendus d’une adresse à la nation.

Tant Henri Konan Bédié que Guillaume Soro n’ont pas manqué de dénoncer vivement, dans leur discours, les «dérives judiciaires» et les atteintes à «l’état de droit et la démocratie» du régime d’Alassane Ouattara.

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Alassane Ouattara, commanditaire de la rébellion armée de 2002 en Côte d’Ivoire?
L’année 2019 a vu un rapprochement entre les partis et mouvements des principaux opposants –Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro– qui semblent déterminés à œuvrer ensemble, dans une certaine mesure, pour contrer en 2020 le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, parti au pouvoir) d’Alassane Ouattara. Celui-ci fait d’ailleurs durer le suspense sur sa candidature éventuelle pour un troisième mandat.

Guillaume Soro a d’ores et déjà annoncé qu’il se portait candidat pour la présidentielle de 2020 et Henri Konan Bédié n’exclut pas de l’être également. La candidature de Laurent Gbagbo, encore aux prises avec la Cour pénale internationale (CPI), demeure la moins probable.

Si Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, les trois poids lourds de la scène politique ivoirienne, devaient se représenter en 2020, il s’agirait alors de la seconde fois après la présidentielle de 2010 qui s’était soldée par une crise postélectorale sanglante.

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En Côte d’Ivoire, le souvenir de cette dernière et ses plus de 3.000 morts demeure vivace dans les esprits. Ils sont nombreux, ces Ivoiriens qui observent, inquiets, les événements politiques de ces derniers mois avec un sentiment de déjà-vu.

Le plus retentissant d’entre eux est sans conteste le mandat d’arrêt international lancé fin décembre contre l’ex-chef de la rébellion armée de 2002, Guillaume Soro, accusé par la justice ivoirienne de préparer «une insurrection civile et militaire» pour s'emparer du pouvoir.

Au moment où le terrorisme constitue une menace à ses frontières, Alassane Ouattara assure qu’«aucune tentative de déstabilisation de la Côte d’Ivoire ne pourra prospérer».

Contacté par Sputnik, l’analyste politique burkinabè Siaka Coulibaly considère que:

«Le terrorisme est aux portes de la Côte d’Ivoire et pourrait tirer avantage d’un affaiblissement de sa capacité de défense découlant d’un désaccord entre les personnels militaires et de sécurité. Guillaume Soro et ses partisans ne sont peut-être pas des adversaires directs, comme semble le penser le camp du Président Alassane Ouattara.»

Mais il n'y a pas que les tensions entre Soro et le Président sortant qui font peser des risques sur 2020. Si Alassane Ouattara affirme que «toutes les conditions sont maintenant réunies pour que l’élection présidentielle à venir soit transparente, juste et ouverte et également apaisée», l’opposition, elle, est loin de partager cet avis. Celle-ci réclame en effet une Commission électorale indépendante (CEI) plus consensuelle.

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Lors de la présidentielle de 2010, la CEI, la structure chargée d’organiser les élections en Côte d’Ivoire, avait été au cœur des contestations qui avaient débouché sur la crise postélectorale. Cette dernière s’était déclenchée après que le Président sortant, Laurent Gbagbo, reconnu vainqueur par le Conseil constitutionnel, et Alassane Ouattara, proclamé comme tel par la CEI, ont chacun revendiqué la victoire.

Interrogé par Sputnik, l’analyste politique ivoirien Sylvain NGuessan juge peu probable qu’on assiste en 2020 à une confrontation armée comme celle qui a éclaté à la faveur de la présidentielle de 2010.

«Je pense que nous aurons une élection dont les résultats pourraient être remis en cause par endroits. Toutefois, le résultat final devrait être accepté de part et d’autre», a-t-il soutenu.

Mais pour un scrutin présidentiel autant que possible apaisé, Sylvain NGuessan a souligné la nécessité pour le pouvoir de «maintenir le contact avec les partis d’opposition et la société civile».

«Ce dialogue politique devra revenir sur divers sujets, dont la composition de la CEI. Le pouvoir devra rassurer sur l’enrôlement sur les listes électorales, ainsi que sur la place de l’armée dans le débat public et les questions politiques. De part et d’autre, il faut également que les leaders évitent de recourir systématiquement à l’intimidation comme paradigme principal dans leurs relations», a poursuivi l’analyste.

En attendant la présidentielle qui aura lieu en octobre, le Président Alassane Ouattara a fait part de son intention de proposer au Parlement, dans le courant du premier trimestre 2020, des modifications de la Constitution.

Selon le chef de l’État ivoirien, il s’agira de «consolider davantage l’État de droit» et non d’écarter qui que ce soit de la course à la magistrature suprême.

«Je voudrais rassurer les uns et les autres. Il ne s’agit pas de recaler qui que ce soit, tout le monde sera candidat, je viens d’avoir 78 ans, nous n’allons exclure personne, y compris moi-même», a-t-il déclaré.

De l’intérêt de préserver la Côte d’Ivoire d’une nouvelle crise majeure

Moteur de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) avec près de 40% du PIB de la zone, et troisième PIB de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après le Nigeria et le Ghana, la Côte d’Ivoire demeure un pays incontournable. Du fait de son poids économique important en Afrique de l’ouest, elle «jouit d’une prépondérance géopolitique élevée», comme l’a souligné Siaka Coulibaly.

«La Côte d’Ivoire ne détient pas une force militaire suffisante pour jouer pleinement un rôle de leadership en Afrique de l’Ouest, ce qui minimise quelque peu son image de puissance sous-régionale. Néanmoins, comme elle dispose de l’arme économique et financière, cela lui permet d’influencer les autres États, notamment ceux de la zone UEMOA. C’est pourquoi tous les efforts devraient être engagés pour éviter une nouvelle conflagration dans ce pays», a déclaré au micro de Sputnik l’analyste burkinabè.

Centre-ville de Ouagadougou - Sputnik Afrique
Au Burkina Faso, le principal parti de l’opposition dénonce une campagne présidentielle avant l’heure
La paix et la stabilité en Côte d’Ivoire sont une préoccupation pour l’ensemble des États de la sous-région ouest-africaine et des institutions régionales et internationales.

Au Burkina Faso, pays frontalier en proie au feu récurrent de groupes djihadistes, c’est avec une attention particulière que l’on scrute les problèmes politiques de la Côte d’Ivoire, les deux nations entretenant depuis toujours des liens multiformes et très étroits.

«Les interrelations socioéconomiques entre les Burkinabè et les Ivoiriens sont telles que les moindres variations politiques ou économiques dans l’un de ces pays se ressentent plus ou moins fortement dans l’autre. En l’occurrence, la crise armée de la décennie 2000 en Côte d’Ivoire a globalement eu un impact négatif sur l’économie burkinabè», a expliqué Siaka Coulibaly.

Selon l’analyste, les points de vue des Burkinabè sur la situation politique en Côte d’Ivoire oscillent autour de deux points.

«La première préoccupation englobe à la fois la crainte d’un nouveau conflit armé qui pourrait entraîner des pertes en vies humaines –particulièrement des Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire– et celle d’une baisse des revenus –le poids des transferts financiers aux Burkinabè en provenance de parents en Côte d’Ivoire est très important. La seconde est d’ordre moral. Les Burkinabè font référence aux valeurs africaines de tolérance et surtout, ils réprouvent ce qu’ils considèrent comme de l’ingratitude dans les relations politiques. Ils considèrent l’affaire Soro comme relevant de la relation père-fils et accusent le président Ouattara de dureté envers son ex-poulain», a-t-il déclaré.

Tout comme la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso connaîtra une élection présidentielle en 2020. Entre les attaques armées qui se multiplient dans le pays et la polémique autour du vote de la diaspora qui devrait avoir lieu pour la première fois, le scrutin s’annonce tout aussi mouvementé.

«Il est certain que des troubles sociopolitiques en Côte d’Ivoire impacteraient les élections de fin 2020 au Burkina Faso. La Côte d’Ivoire héberge le plus gros contingent de Burkinabè vivant à l’extérieur (estimé à quatre millions de personnes dont plus de deux millions d’électeurs potentiels, ndlr) et ceux-ci ont été au premier plan dans le conflit de la décennie 2000. Il est indéniable qu’un nouvel affrontement perturberait profondément le vote des Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire, voire l’empêcherait tout simplement», a conclu Siaka Coulibaly.
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