À quand le lancement de l’eco? Annoncée en grande pompe en décembre 2019 à Abidjan par les Présidents Alassane Ouattara et Emmanuel Macron pour remplacer le franc CFA dans les huit pays (Burkina Faso, Bénin, Guinée-Bissau, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal, Togo et Niger) de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la nouvelle monnaie tarde à devenir réalité. Est-elle victime des divergences entre États? A-t-elle brûlé les étapes normales d’un processus qui aurait abouti à un accouchement serein, sans césarienne?
Ce retard à l’allumage suscite des interrogations et laisse entrevoir une guerre de leadership sans merci. Entre le Nigeria –tête de file de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO) qui regroupe cinq autres pays (Ghana, Gambie, Guinée, Liberia, Sierra Leone)– et la France, soucieuse de maintenir une influence contestée dans son pré carré francophone, la bataille risque d’être longue.
La fin du FCFA annoncée par Macron et Ouattara
— AfriAct Media (@AfriActMedia) December 21, 2019
"Le cpte d’opération à la Banq de Fce sera supprimé, les représentants fçais à la BCEAO retirés.
L'Eco conservera 1 parité fixe avec l’Euro & sa garantie de convertibilité sera tjrs assurée par la Banq de Fce"https://t.co/HNMnACDSD1
Les Présidents Ouattara et Macron à Abidjan en décembre 2019 pour annoncer la fin du franc CFA.
«L’évidence saute aux yeux: ce sont les menaces du Nigeria qui ont grippé le scénario imaginé par Ouattara et Macron. La France, qui a toujours deux cordes à son arc, a tenté un premier forcing pour torpiller l’eco comme future monnaie unique des 15 États de la Cedeao. Mais comme Buhari a été intransigeant, elle va laisser faire l’eco-Cedeao en la faisant traîner le plus longtemps possible et en espérant que, entre-temps, son cheval de Troie –le Maroc– intègre la Cedeao pour y contrer le Nigeria», analyse pour Sputnik un spécialiste monétaire sénégalais qui a requis l’anonymat.
C’est ce schéma-là, approuvé à l’unanimité des 15 chefs d’État présents, qui a été bouleversé par l’accord Ouattara-Macron, suscitant l’ire des sociétés civiles et mouvements panafricanistes sur le continent.
Dans un message posté le 23 juin dernier sur son compte Twitter, le Président nigérian a alors laissé entrevoir l’éclatement possible de la Cedeao si les chefs d’État ne se conformaient pas «au processus convenu pour atteindre notre objectif collectif tout en nous traitant mutuellement avec le plus grand respect. […] Sans cela, nos ambitions pour une union monétaire stratégique en tant que bloc de la Cedeao pourraient très bien être gravement compromises».
It gives me an uneasy feeling that the UEMOA Zone wishes to take up the Eco in replacement for its CFA Franc ahead of other ECOWAS Member States. It‘s a matter of concern that a people with whom we wish to go into a union are taking major steps without trusting us for discussion.
— Muhammadu Buhari (@MBuhari) June 23, 2020
Alors que, selon l’accord d’Abuja de juin 2019, l’eco devait se substituer au franc CFA et aux sept autres monnaies nationales en cours dans l’espace Cedeao, «ce projet Ouattara-Macron souffre de trois faiblesses majeures», estime l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, interrogé par Sputnik:
«D’abord, il est illégitime aux yeux des États de la Cedeao non arrimés au franc CFA. Ensuite, il vise à perpétuer sous un autre nom la servitude monétaire des pays CFA. Ceux-ci, enfin, ne remplissent même pas les critères de convergence commune. La pandémie du coronavirus est venue opportunément ‘’sauver’’ Ouattara et ses collègues de l’UEMOA d’une situation embarrassante.»
Les critères de convergence communs fixés par l’UEMOA visent à rapprocher le plus possible les pays membres au plan macroéconomique pour une meilleure intégration de leurs économies. Ces critères sont, entre autres, un déficit budgétaire maximal de 3% du produit intérieur brut (PIB), une inflation annuelle à 3% au plus, un déficit du commerce extérieur limité à 5% du PIB.
Le Nigeria, puissance incontournable mais fragile
Malgré son poids écrasant dans l’économie ouest-africaine, le Nigeria n’échappe pas aux critiques, notamment sur son incapacité à tirer vers le haut ses alliés de la ZMAO. Indiscipline budgétaire, monnaie nationale (naira) dévaluée à répétition, corruption endémique, etc., n’en font pas le modèle de leadership rêvé pour des pays en quête effrénée d’émergence, se désole le macroéconomiste togolais Michel Nadim Khalife sur le site de financialafrik.com.
«C’est le géant économique qui dictera sa loi conformément à ses intérêts qui ne sont pas ceux de l’UEMOA, parce que nos structures de production ne sont pas les mêmes, le Nigeria dépendant des cours du pétrole […], tandis que l’UEMOA dépend de ses exportations agricoles et d’or, de diamants et d’autres minerais…», alerte ce fervent partisan du franc CFA.
Le dernier acte public posé dans le processus de liquidation du franc CFA remonte au 20 mai 2020. Sibeth Ndiaye, alors porte-parole du gouvernement français, a annoncé l’adoption en Conseil des ministres du décret censé enterrer le franc CFA dans l’espace UEMOA. Depuis, c’est le black-out total, à Paris comme du côté des États concernés et de leurs dirigeants. À Dakar, un officiel du ministère des Finances joint par Sputnik a accepté de répondre sous couvert d'anonymat.
«Le projet de passage du franc CFA à l’eco est à la fois une question et un enjeu communautaires pour lesquels le Sénégal a confié une délégation de souveraineté à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest.»
Dans le contexte actuel, de nombreux dirigeants ouest-africains semblent plus préoccupés par des stratégies de conservation/transmission du pouvoir que par la perspective d’affronter la nouvelle donne économique que serait la mise en service de l’eco.
L'appel d'Abidjan lancé par les présidents Ouattara et Macron rejeté par les pays anglophones dont le géant #Nigeria .
— Kouabenan Bah (@KouabenanBah) January 16, 2020
L'avenir de l'#eco qui remplacerait l'appellation #FCFA est incertain.@M_Koulibaly , votre analyse.#civ225 pic.twitter.com/80SOLakEyi
Du Guinéen Alpha Condé à l’Ivoirien Alassane Ouattara en passant par le Nigérien Mahamadou Issoufou, le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré et le Malien Ibrahim Boubacar Keïta, il y a de quoi penser d’abord à redémarrer des économies fragiles en résistant au coronavirus et au terrorisme…