«Inacceptable» pour les uns, «parfaitement en règle» pour les autres… Les polémiques sont vives autour du principe de la déclaration de patrimoine qui incombe au Président Macky Sall.
«La déclaration de patrimoine est une exigence de l’état de droit pour la transparence et la bonne gouvernance de nos institutions. Mais à partir du moment où le Président Sall, élu en 2012, l’a déjà faite, il n’a aucune obligation de la refaire une fois réélu en 2019», affirme Nfally Camara, enseignant-chercheur au département de droit public de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, interrogé par Sputnik.
Selon l’article 37 de la Constitution du Sénégal, «le Président de la République est installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant le Conseil constitutionnel en séance publique. Le Président de la République nouvellement élu fait une déclaration écrite de patrimoine déposée auprès du Conseil constitutionnel qui la rend publique».
DECLARATION DE PATRIMOINE : Le JE trouble de Macky Sall https://t.co/9w0yZ4QujH
— Ma revue de presse (@rp221com) July 17, 2020
Pour Sadikh Niass, secrétaire général de la Rencontre africaine de défense des droits l’Homme (Raddho), approché par Sputnik, le texte signifie que «même si des interprétations sont possibles, l’esprit de la loi est que le Président de la République déclare son patrimoine s’il n’a rien à cacher. Cela est de nature à faire taire les suspicions. Il est permis de penser que le renouvellement du mandat et de la prestation de serment du chef de l’État s’accompagne d’une mise à jour déclarée de son patrimoine».
Le président @Macky_Sall fixe un ultimatum aux ministres pour leur déclaration de patrimoine alors que lui même ne l’as pas encore fait depuis sa réélection en 2019 quelle contradiction
— seye fallou galass (@galasse__fallou) July 15, 2020
Le 15 juillet 2020, le Président sénégalais, en Conseil des ministres, avait intimé l’ordre aux membres du gouvernement de déclarer leurs biens auprès de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) au plus tard le 31 août 2020. Depuis, en lieu et place de ces mêmes ministres, c’est Macky Sall lui-même qui est au cœur de la polémique.
Déclarations de patrimoine auprès de l’OFNAC; Le Président Macky Sall donne un dead-line aux membres de son gouvernement https://t.co/vf4WDIiRG3
— leralpointnet (@leralpointnet) July 15, 2020
«La Constitution ne souffre d’aucune ambiguïté sur cette question. S’il est élu pour un nouveau mandat et une nouvelle prestation de serment, une nouvelle déclaration de patrimoine s’impose au Président de la République. C’est d’autant plus vrai qu’après sept années au pouvoir, c’est le moment de voir dans quelle mesure son patrimoine déclaré en 2012 a évolué», analyse pour Sputnik le docteur Maurice Soudieck Dione, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis.
«Le Président Macky Sall ne peut en aucun cas se passer d’une nouvelle déclaration de patrimoine après l’avoir effectuée en 2012. Chaque élection du Président, qu’il soit en exercice, réélu ou pas, doit être accompagnée d’une déclaration de patrimoine. Cela permet de vérifier, entre autres, dans quelles conditions ce patrimoine a évolué ou pas entre 2012 et aujourd’hui. Il n’y a pas de doute là-dessus.»
La déclaration de patrimoine est une chose, mais elle n’explique pas comment ce patrimoine a été acquis. Donc il faut une haute autorité autonome et indépendante pour la valider
— Wade Babacar (@babswad) July 19, 2020
Joint par téléphone, un membre du Conseil constitutionnel a brandi le principe de «l’obligation de réserve» et le «statut particulier» des juges pour justifier le mutisme de l’organe sur cette question. Et devant le silence assourdissant du pôle communication de la présidence, c’est l’ex-journaliste Alioune Fall, conseiller spécial du Président Macky Sall, qui est monté au créneau.
«Comment peut-on exiger du chef de l’État qu’il fasse encore une déclaration de patrimoine alors qu’il n’a pas quitté une seule seconde ses fonctions? Le jour où il ne sera plus Président de la République, Macky Sall listera la totalité de ses biens et cela sera rendu public», a-t-il indiqué à Sputnik.
En 2012, la liste de patrimoine remise par l’actuel chef de l’État au Conseil constitutionnel comprenait notamment des biens immobiliers au Sénégal et aux États-Unis dont un appartement de 300 mètres carrés à Houston (Texas), des parts sociales dans différentes sociétés immobilières, un parc automobile de 35 véhicules. Mais aucun actif financier n’avait été déclaré.
Déclaration de patrimoine – Ce que Macky Sall et son épouse Marième Faye « pesaient » en 2012 https://t.co/h84Sh4jvAl via @jeggemaa pic.twitter.com/oo8WylCyW2
— SADIOKAMARA (@sadiokamara10) July 19, 2020
Macky Sall et son épouse en 2012: des biens en communs au Sénégal et aux États-Unis.
L’ultimatum du Président Sall à ses ministres a réveillé le «serpent de mer» que représente la déclaration de patrimoine. À plusieurs reprises et en public, l’infortunée Seynabou Ndiaye Diakhaté, actuelle présidente de l’Ofnac, s’était plainte de la mauvaise volonté des personnalités assujetties cette obligation à s’y soumettre auprès de ses services.
La présidente de l’Ofnac et la déclaration de patrimoine.
Comment sortir des suspicions autour de textes apparemment interprétables sous plusieurs angles? Selon le membre du Conseil constitutionnel cité plus haut, le juge constitutionnel pourra peut-être exprimer une doctrine sur le sujet «à condition d’être saisi par qui de droit».
«Pour lever toute ambiguïté sur cette question, le Président de la République pourrait demander l’avis du Conseil constitutionnel», suggère l’expert électoral Ndiaga Sylla interrogé par Sputnik.
Selon Birahim Seck, coordonnateur général du Forum civil (section sénégalaise de Transparency international), «seule l’éthique réglera cette question».