Mounir attend patiemment à l’ombre d’un acacia l’arrivée d’un éventuel acheteur d’un animal à sacrifier à l’occasion de l’Aïd el-Kébir, prévu vendredi 31 juillet 2020. Il s’est installé avec sa dizaine de moutons à un point stratégique de Aïn Naadja, l’un des plus importants quartiers populaires de la banlieue Est d’Alger. Mounir annonce directement le prix: 57.500 dinars (380 euros) le mouton, soit près de trois fois le SMIC algérien.
«Mes bêtes n’ont pas été engraissées avec des aliments industriels. Ces moutons ont passé le printemps dans les hauts plateaux de l’Ouest avant d’aller dans la région de Djelfa. Ils se sont nourris d’herbes sauvages de la steppe. Leur viande est exceptionnelle», explique à Sputnik le jeune maquignon.
Mais le jeune homme semble ne pas être très à l’aise et fait mine de tourner le dos au passage d’une voiture de police. Au regard des dernières dispositions sanitaires prises par les autorités à l’approche de l’Aïd, son petit commerce n’est pas tout à fait en règle.
L’Aïd en zone grise
Mounir se retourne, les policiers ont à peine remarqué sa présence. En fait, le gouvernement n’a pas pris de décision tranchée à propos de la fête du sacrifice. Sans l’interdire explicitement, il a préconisé un aménagement de la vente d’ovins afin d’éviter les risques de propagation du Covid-19.
«La situation est compliquée, car durant la période estivale, les troupeaux sont lâchés dans les hauts plateaux, sur les terres où les céréales ont été récemment moissonnées. Mais la décision des autorités d’interdire les déplacements entre les wilayas [départements, ndlr] fait que les éleveurs n’ont plus accès à ces espaces pour nourrir leurs bêtes.»
«C’est particulièrement contraignant, car l’élevage d’ovins tel qu’il est pratiqué dans notre pays nécessite d’être constamment en mouvement», souligne Brahim Amarni.
Les scientifiques appellent à sacrifier la fête du sacrifice
Cette interdiction des déplacements entre les différentes régions du pays a également bloqué le circuit de commercialisation du bétail, notamment vers les grandes villes. «La dérégulation du marché du bétail destiné au sacrifice de l’Aïd a provoqué une hausse du prix du mouton», précise Brahim Amarni.
La colère est également perceptible du côté du monde médical, qui craint une explosion des cas de contamination au coronavirus, l’Algérie ayant officiellement enregistré jusqu’au 29 juillet 2020, 28.615 patients atteints et 1.174 décès. C’est notamment le cas de cinq éminents scientifiques, les professeurs et docteurs en médecine Khaled Bessaoud, Sidi Allel Louazani, Leila Houti, Noureddine Zidouni et Mohamed Belhocine, qui ont signé, le 27 juillet 2020, une déclaration appelant les autorités à surseoir à la célébration de cette fête religieuse.
«Au-delà des vies humaines [qui seraient, ndlr] épargnées par cette sage et raisonnable décision, il s’agira d’alléger la charge de travail des personnels soignants et de les préserver, de permettre aux autres malades, notamment les malades chroniques, de pouvoir renouer avec les services de santé, car obligés de renoncer aux soins durant cette longue période […] enfin, d’atténuer les conséquences socio-économiques et financières subies par de nombreux ménages du fait des stratégies de confinement, si la pandémie venait à se prolonger indéfiniment», écrivent ces spécialistes.
Mais à la veille de la célébration de cette fête majeure, il est peu probable que les autorités algériennes fassent marche arrière et interdisent le rituel du sacrifice.