En Tunisie, le nouveau chef du gouvernement appelé à «nettoyer les écuries d’Augias»

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En nommant Hichem Mechichi au poste de chef du gouvernement, le Président Kaïs Saïed engage un bras de fer contre le parti Ennahda et contre les milieux affairistes. Le chef de l’État tunisien pourrait dissoudre le Parlement si celui-ci ne valide pas la désignation de ce nouvel exécutif. Une option redoutée par les islamistes.

C’est une grande partie d’échec qui a débuté en Tunisie avec la désignation d’un candidat- surprise au poste de chef du gouvernement. Samedi 25 juillet, le Président Kaïs Saïed a ainsi imposé sa pièce maîtresse en la personne de Hichem Mechichi, l’actuel ministre de l’Intérieur. À 46 ans, ce juriste connaît parfaitement les rouages de l’administration. Pour avoir été membre de la Commission nationale d’investigation sur les faits de corruption et de malversation durant l’ère de Zine el-Abidine Ben Ali, il a également une parfaite maîtrise des dossiers de malversations et des connexions entre le monde politique et les milieux d’affaires. Adnan Limam, politologue et ancien diplomate tunisien, estime que la force de Mechichi réside dans le fait qu’il n’appartient à aucune chapelle politique.

«Hichem Mechichi est un cadre indépendant qui n’a pas d’affiliation partisane et n’est pas en relation avec les milieux d’affaires, contrairement à son prédécesseur Elyès Fakhfakh. De plus, le chef du gouvernement désigné a déjà travaillé avec le chef de l’État puisqu’il a été son conseiller juridique avant d’être nommé ministre de l’Intérieur. Le choix du Président tunisien est très important car il qui permet d’éloigner le gouvernement de deux sphères: les partis politiques et les milieux affairistes», analyse pour Sputnik Adnan Limam.

«Cinquième colonne»

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Auteur du livre Ennahda: ses cinq vérités, Adnan Limam relève que le Président Kaïs Saïed et Hichem Mechichi partagent la même vision au sujet d’Ennahda «parti des Frères musulmans*» dont le leader Rached Ghannouchi, préside l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), le Parlement monocaméral tunisien. Selon lui, les deux hommes sont persuadés que ce parti politique islamiste représente une menace car il est présent dans les institutions de façon officielle comme officieuse, tapi dans l’ombre à travers une organisation secrète qui agit contre les intérêts de la République.

«Mechichi est appelé à nettoyer les écuries d’Augias en neutralisant les éléments d’Ennahda et son organisation secrète qui ont noyauté les institutions de l’État.
Cette cinquième colonne est devenue une vérité judiciaire. Ennahda n’est pas un parti politique, c’est une organisation ambivalente qui noyaute les rouages de l’État, de l’armée et qui dispose même de structures pour écouter les services de la présidence de la République», souligne Limam.

Alors que l’existence historique d’un «appareil secret», à l’époque où le mouvement se développait dans la clandestinité, a pu être reconnu par quelques-uns des principaux concernés, ceux-ci démentent formellement toute réminiscence de cette structure aujourd’hui, affirmant jouer selon les règles de la politique et de la démocratie, en toute transparence. Toutefois, une partie de la classe politique n’en démord pas. Beaucoup vont jusqu’à imputer à cette «organisation secrète» l’assassinat, en 2013, de deux figures de l’opposition laïque: Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

Le quitus ou la dissolution

La menace est également d’ordre sécuritaire, note le politologue tunisien qui rappelle le lien direct entre les islamistes d’Ennahda et la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, qui est activement engagée dans le conflit libyen. «Le Président a maintes fois évoqué une menace grave qui pèse sur la Tunisie à travers les milliers de terroristes massés par la Turquie à la frontière avec la Libye», indique Adnan Limam.

Mais pour pouvoir entrer en scène et remplir cette difficile mission de «nettoyage», Mechichi et les membres de ce nouveau gouvernement devront passer par la case Parlement.

La nécessaire étape de l’investiture n’est pas acquise puisque le Parlement est dominé par des formations qui avaient proposé d’autres candidats pour ce poste.

«Nous sommes face à trois hypothèses. La première, le chef du gouvernement obtient la confiance des parlementaires. La seconde, Mechichi fait l’objet d’un rejet par l’Assemblée obligeant ainsi le Président à la dissoudre et convoquer une élection législative anticipée. Troisième hypothèse, le Parlement vote pour l’investiture mais Ennahda, après un certain délai, impose une motion de censure contre cet exécutif comme il l’avait fait auparavant pour Elyès Fakhfakh», détaille Adnan Limam.

Le PDL en embuscade

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Pour statuer, le Parlement tunisien attendra que le chef du gouvernement désigné ait formé son équipe, ce qu’il doit faire dans un délai d’un mois à partir du 25 juillet, renouvelable une fois. C’est au terme de cette période que la partie d’échecs politique prendra tout son sens. Ennahda, et avec lui les autres partis politiques présents dans l’hémicycle, sont «terrorisés par le spectre de la dissolution», avance Limam. Et pour cause, en cas de législative anticipée, les principaux acteurs de la scène politique qui se sont imposés depuis l’ouverture démocratique risquent de laisser des plumes face au Parti Destourien Libre. Dirigé par l’avocate Abir Moussi, parlementaire ouvertement anti-islamiste, le PDL se place actuellement en tête des sondages. Lundi 27 juillet, dans une déclaration à la presse, la présidente de ce parti social-démocrate s’est félicitée de la nomination de Mechichi et s’est engagée à soutenir son gouvernement mais à certaines conditions:

«On lui demande un gouvernement restreint sans les Frères (musulmans)*. On s’attend, aussi, à ce qu’il s’attaque aux dossiers chauds dont nous avons parlé à l’époque d’Elyès Fakhfakh, comme la classification des Frères Musulmans* en tant qu’organisation terroriste», a-t-elle exigé.

Abir Moussi pourrait-elle être une alliée de choix pour le Président Kaïs Saïed et son chef de gouvernement Hichem Mechichi face à l’Ennahda de Rached Ghannouchi? Un PDL majoritaire permettrait-il au Président tunisien -qui ne dispose d’aucun ancrage partisan- de lancer le chantier d’une révision constitutionnelle? Une hypothèse difficile à soutenir au regard notamment de l’aspect révolutionnaire de la révision escomptée. Un projet auquel le parti d’Abir Moussi, qui se réclame de l’héritage du premier Président Bourguiba sans dédaigner systématiquement celui de son successeur Zine el-Abidine Ben Ali, risque peu de souscrire.

«L’objectif théorique de Kaïs Saïed est de refonder le système politique tunisien par une vision originale qui ne procède pas du mimétisme des régimes occidentaux. Mais il lui faut un prolongement au sein de l’Assemblée car l’amendement de la Constitution requiert l’approbation des deux tiers des députés», rappelle Adnan Limam.

Autant dire que si Hichem Mechichi est appelé à nettoyer les écuries d’Augias, le projet de nouvelle loi fondamentale cher au Président sera relégué, lui, aux calendes grecques.

* L'organisation "Les Frères musulmans" est reconnue comme une organisation terroriste et son activité est interdite dans la Fédération de Russie.

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