Engagement de GI en Tunisie: Washington accuse Moscou et tente de doubler Paris

© AFP 2024 BRENDAN SMIALOWSKIDrapeau du département d'Etat américain à Washington
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Aux accusations de déploiement d’avions de combat russes en soutien au maréchal Haftar, le commandement des États-Unis pour l’Afrique répond par la possibilité d’envoyer une Brigade d’assistance aux forces de sécurité en Tunisie. Mais selon un ancien ambassadeur russe à Tunis, Washington y cible les intérêts français.

Tunis se voit embarquer dans la nouvelle guerre froide qui oppose la Russie aux États -Unis. Le 28 mai, lors d’une conversation téléphonique, le ministre tunisien de la Défense nationale Imed Hazgui et le général Stephen J. Townsend, chef du Commandement des États-Unis pour l'Afrique (Africom), ont abordé la possibilité de déployer une Brigade d’assistance aux forces de sécurité (Security force assistant brigade, SFAB). Le général américain lie le déploiement de cette unité à la «présence russe» en Afrique du Nord, notamment à travers l’arrivée d’avions de chasse sur une base aérienne du maréchal Khalifa Haftar.

«Alors que la Russie continue d'attiser les flammes du conflit libyen, la sécurité régionale en Afrique du Nord est une préoccupation accrue. […] Nous recherchons de nouvelles façons de répondre aux problèmes de sécurité mutuels avec la Tunisie, y compris le recours à notre Brigade d’assistance aux forces de sécurité. La Tunisie reconnaît les avantages des valeurs, du professionnalisme et de l'engagement américains. Ils apprécient beaucoup notre partenariat», détaille le communiqué de presse d’Africom.

Tunis dans la gêne

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Le 30 mai, l’ambassade des États -Unis à Tunis a publié une note pour «rectifier» la déclaration du commandant d’Africom à propos du déploiement de cette brigade. «Pour clarifier les choses, les forces d'assistance à la sécurité mentionnées par Africom dans son communiqué de presse du 29 mai font référence à une petite unité de formation qui fait partie du programme d'assistance militaire, et ne sont en aucun cas des forces militaires de combat», indique les services de l’ambassade américaine. Il semble qu’il y ait eu volonté d’édulcorer les propos du général Stephen J. Townsend pour ne pas mettre dans la gêne le gouvernement tunisien. Djalil Lounnas, professeur en relations internationales à l’université américaine Al Akhawayn d’Ifrane (Maroc) précise à Sputnik que la Tunisie reste un allié hautement stratégique des Américains en Afrique du Nord.

«Parmi les voisins directs de la Libye, la Tunisie est certainement l’allié le plus fidèle des Etats-Unis. En 2015, ce pays du Maghreb avait obtenu des Américains le statut d’allié privilégié non-OTAN. Tunis est également très proche du GNA [Gouvernement d’Entente nationale] de Fayez al-Sarraj. Il est évident que la Tunisie se retrouve de fait impliquée dans le conflit qui oppose les deux superpuissances », affirme-t-il.

Washington fait pression

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Créé en 2017, la Security force assistant brigade (SFAB) n’est pas uniquement dédiée à la formation puisqu’elle est également destinée à conseiller, assister, activer et accompagner les opérations avec les pays alliés et partenaires. Une telle unité peut compter jusqu’à 800 soldats «hautement entraînés et qui figurent parmi les meilleurs chefs tactiques de l'armée», assure l’un des sites officiels de l’armée américaine. Dans une déclaration à Sputnik, Akram Kharief, journaliste spécialiste en question de défense et directeur du site spécialisé Menadefense, estime nécessaire de faire la différence entre l’administration Trump et le commandement de l’armée au sujet des tensions avec la Russie dans le chapitre libyen.

«Aux États-Unis, il existe un jeu de pouvoir entre le Pentagone et la Maison-Blanche. Donald Trump est connu pour vouloir ménager l'ami Poutine alors que le ministère de la Défense est toujours ancré dans la guerre froide. Ce communiqué d’Africom entre dans le cadre de la politique intérieure américaine et entend envoyer un message à la Russie et surtout aux alliés de l'Otan qui étaient tentés par un soutien militaire à Haftar», souligne le journaliste algérien.

Moscou dément

Jeudi 4 juin, Sputnik a interrogé la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, au sujet de la présence des Mig29 et probablement de bombardiers Soukhoï Su-24 sur le tarmac de la base aérienne d’al-Djoufrah qui dépend de l’armée du maréchal Haftar, dont la propriété est attribuée à l’armée russe par le commandement de l’Africom. Selon elle, les accusations des États-Unis contre la Russie visent à renforcer leur présence militaire au Moyen-Orient et en Afrique.

«Nous avons remarqué que Washington ne cesse de diffuser des informations sur des actions russes à caractère militaire, lesquelles représenteraient une menace pour la sécurité de l’Afrique du Nord. Les États-Unis le font depuis longtemps de manière sporadique. On assiste actuellement à une nouvelle flambée, sans en voir d’exemples, de faits ou d’informations concrètes. Les Américains ne prennent pas la peine de fournir des faits», indique Maria Zakharova.

Le commandement américain en Afrique affirme que ces appareils de combat ont été mis à la disposition de la société militaire russe Wagner pour apporter un appui aérien aux forces de Haftar.

​«Pendant trop longtemps, la Russie a nié toute l'ampleur de son implication dans le conflit libyen en cours. Eh bien, il est impossible de le nier maintenant», lâche le général Stephen J. Townsend.

Paris ciblé

Pour sa part, Veniamin Popov, ex-ambassadeur russe en Tunisie, en Libye et au Yémen estime que c’est la France qui est ciblé par les récentes déclarations du commandant d’Africom, et non la Russie. L’ancien diplomate explique à Sputnik que la décision de Washington visant à envoyer une brigade dans un pays de la rive sud de la Méditerranée est une «démarche sans précédent». «Jusqu’à présent, les Américains n’avaient envoyé leurs troupes qu’en Égypte. Ils s’étaient abstenus d’en envoyer dans d’autres pays. Ils ne s’étaient ingérés que très prudemment dans le conflit libyen en ne prêtant qu’un concours logistique à l’Angleterre et à la France», rappelle-t-il.

«Les Américains veulent renforcer leur présence dans les structures militaires tunisiennes. La Tunisie est un pays formidable, calme, touristique, mais il a toujours été le pré carré de la France. La Tunisie a été une colonie française et les Français s’y sont toujours sentis comme la puissance numéro un. À mon sens, cette initiative n’est donc pas tant dirigée contre la Russie que contre la France. En effet, compte tenu de l’importance du bassin méditerranéen et des conflits à venir au Maghreb, les États-Unis souhaitent y réduire l'influence de la France pour se faire une place dans cette région du monde. Il me semble que la raison principale de tout cela est de nuire à Paris qui agit parfois de façon trop indépendante et ignore Washington», soutient l’ambassadeur Veniamin Popov.

Il est cependant évident que le maréchal Khalifa Haftar a cette fois perdu le soutien des États-Unis. Il ne pourra plus jouer à l’équilibriste entre Washington et Moscou.

«La priorité absolue des États-Unis en Libye a été la liquidation de Daech* à travers l’utilisation de Haftar. Le maréchal avait d’ailleurs voulu faire croire à Washington que ce soutien était politique. Khalifa Haftar, qui bénéficie du soutien de l’Égypte et des Émirats arabes unis s’est trop rapproché de la Russie et a fini par perdre l’appui des États-Unis», assure Djalil Lounnas.

Alger ne pipe pas mot

De son côté, le gouvernement algérien n’a pas encore réagi à l’annonce de l’envoi d’une Brigade d’assistance aux forces de sécurité américaine en Tunisie. Alger, qui entretient des relations soutenues avec Tunis et Washington en matière de lutte contre le terrorisme, a toujours vu d’un mauvais œil l’installation de troupes américaines sur le territoire de son voisin de l’est.

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En 2016, le déploiement de drones américains en Tunisie avait fait réagir le gouvernement et la classe politique algérienne. Cette fois, silence radio.

Allié stratégique de la Russie au Maghreb, l’Algérie tient également à garder de bonnes relations avec Washington tout en préservant son indépendance vis-à-vis des deux puissances.

Cependant, l’escalade en Libye et l’importante internationalisation du conflit vient signer l’échec d’une solution pacifique que tente de promouvoir Alger. Le redéploiement de la diplomatie sous l’impulsion du Président Abdelmadjid Tebboune a été freiné net par la pandémie de Covid-19. Depuis le mois de mars, les combats ont gagné en intensité. Les troupes du gouvernement de Fayez el-Sarraj ont réussi à repousser l’offensive que mène l’armée du maréchal Haftar contre Tripoli. Dans cette contre-offensive, le GNA est parvenu à reprendre la base aérienne stratégique d’al-Watiya située à 140 kilomètres au sud-ouest de la capitale. Une entrée en jeu des Russes et des Américains sur le terrain libyen risque de compliquer encore plus la tâche des diplomates algériens.

«L’Algérie se retrouve face à des acteurs extrêmement puissants que sont la Russie, les États-Unis et la Turquie, et des acteurs très influents comme les Émirats arabes unis et l’Égypte qui ont des intérêts contradictoires et qui ont tous opté pour l’usage des armes. La meilleure chose que pourrait faire l’Algérie serait de rester en dehors de ce conflit et de défendre ses frontières », considère Djalil Lounnas.

Pour le professeur en relations internationales, le plus grand danger pour l’Alger est d’assister, impuissante, à une scission de la Libye avec d’un côté «la Tripolitaine et le Fezzan soutenus par le duo États-Unis-Turquie et, en face, la Cyrénaïque dans le giron du trio Russie-Égypte-Émirats arabes unis».

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