Ils étaient 600 étudiants à avoir été envoyés à Cuba dans les années 1980. Une trentaine d’années après leur retour au bercail, la situation des 524 survivants est loin d’être reluisante.
Une formation politique, technique et professionnelle
Dans le cadre de la coopération Sud-Sud entre le Burkina Faso et Cuba et en vertu d’un accord d'amitié signé entre les deux pays le 21 décembre 1983 à La Havane, un contingent de 600 étudiants burkinabè avait été envoyé en 1986 (soit un an avant l’assassinat de Thomas Sankara) à Cuba pour suivre des formations politiques, techniques et professionnelles.
Ces jeunes, dont la tranche d’âge était comprise entre 12 et 16 ans, avaient été sélectionnés dans toutes les régions du Burkina Faso sur la base de critères sociaux –comme le fait d’être orphelin ou issu d’une famille défavorisée. À Cuba, ils ont été formés dans 38 filières (mécanique, bâtiment, médecine, menuiserie...) qui représentaient un besoin immédiat pour la sauvegarde des unités industrielles et le développement des secteurs clés de l'économie du Burkina Faso.
Pour bâtir son rêve d'un Burkina Faso «libre et digne», Thomas Sankara avait mis un point d'honneur à inculquer «une formation politique patriotique» aux soldats, à aspirer à l'autosuffisance alimentaire, à l'émancipation des femmes, au développement de la santé et de l'écologie, mais surtout à l'éducation des jeunes qui représentaient à ses yeux l'avenir de la «Patrie des hommes intègres».
Aujourd’hui secrétaire général de l'Association de solidarité et d'amitié Cuba-Burkina Faso/Amérique latine (ASAC-BF/AL), une structure qui réunit l’ensemble de ces Burkinabè partis à Cuba, Inoussa Dankambary explique à Sputnik:
«Le choix de tous ces métiers auxquels nous avons été formés a été expressément imposé par nos dirigeants aux autorités cubaines. Ce n’est pas nous qui avons fait le choix de ces filières.»
À l’issue de leur cursus –au cours duquel ils n’ont reçu, à trois reprises, qu’un subside de 100 dollars en lieu et place de la bourse mensuelle promise par le gouvernement burkinabè–, le premier groupe du contingent (où figuraient Inoussa Dankambary et sa sœur) a rejoint le Burkina Faso en 1992 et le second en 1993, après respectivement six et sept ans d'études.
Trois mois après leur retour, les diplômés du premier contingent avaient été appelés sous les drapeaux pour le Service national pour le développement (SND), une sorte de service national civique qui dure un an. À l'issue de cette étape, le gouvernement burkinabè avait mis en place un comité interministériel chargé de leur intégration professionnelle, avec un accompagnement financier pour l'auto-emploi et une reconversion de profils pour certains.
«Le traitement égalitaire et équitable que nous réclamions n’est jamais arrivé. Les conditions d’accès à l’accompagnement financier promis étaient assorties de garanties dont nous ne disposions pas étant donné notre statut d'enfants orphelins ou issus de familles défavorisées», a poursuivi Inoussa Dankambary.
Aujourd’hui, les 249 diplômés qui ont réussi à intégrer la fonction publique (les 275 autres étant au chômage), quand ils ne rencontrent pas des difficultés d’avancement liées à la non-homologation de leur diplôme, demeurent pour la plupart sous-employés.
La longue marche pour «exister»
Les «orphelins de Sankara» ont pourtant multiplié, au cours des années qui ont suivi, les démarches pour rencontrer les premiers responsables des différents ministères concernés par leur situation.
«Certaines portes nous ont été ouvertes et d'autres jamais. Nos démarches pour rencontrer le Président Blaise Compaoré sont toutes restées sans suite. Pourtant, lors de sa visite officielle à La Havane en juillet 2003, il a déclaré devant les autorités cubaines que tous les étudiants rentrés avaient été pris en charge et que tous travaillaient dans l'administration», a déclaré Inoussa Dankambary.
Ce n'est qu'en 2017, soit 25 ans après l'arrivée du premier groupe, que l'homologation qui doit enfin permettre la reconnaissance de leurs diplômes a été signée entre les gouvernements cubain et burkinabè.
La signature tardive de cette reconnaissance réciproque des diplômes entre les deux pays, si elle vient régulariser la situation des diplômés de Cuba, profite surtout aux autres étudiants burkinabè partis ces dernières années étudier la médecine dans ce pays d’Amérique latine, mais aussi, aux travailleurs cubains installés au Burkina Faso.
«Environ 30 ans après notre retour, nous demandons désormais à être dédommagés par l’État burkinabè. Toutes ces années, nous avions choisi de régler de façon pacifique notre situation. Nous estimons que malgré le contexte sociopolitique et sécuritaire difficile qui prévaut au Burkina Faso, toute personne se sentant lésée peut demander justice ou réparation.»
Inoussa Dankambary dit tout de même avoir «bon espoir» que le dossier des orphelins cubains de Sankara obtiendra gain de cause. Celui-ci est actuellement examiné, affirme-t-il, par le Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale. Le HCRUN est une émanation de la justice transitionnelle mis en place en 2015, après l’insurrection populaire d’octobre 2014 qui a provoqué la chute du Président Blaise Compaoré.
D’ailleurs, le 13 juillet dernier, en réponse à un mémorandum retraçant leur situation et présentant leurs exigences, le Premier ministre burkinabè Joseph Marie Dabiré a promis «se pencher sur les difficultés que traversent les anciens étudiants de Cuba pour une résolution définitive de la question».