Au Maroc, imbroglio autour de la réouverture conditionnée des frontières

© Sputnik . Manal ZainabiLes files d'attente s’allongent devant l'agence Royal Air Maroc de Casablanca
Les files d'attente s’allongent devant l'agence Royal Air Maroc de Casablanca - Sputnik Afrique
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De longues files d’attente, des déceptions et beaucoup de questions. Ce sont les conséquences directes de la récente annonce officielle, mal expliquée, de l’«opération exceptionnelle» de réouverture partielle des frontières aériennes et maritimes du Maroc. Reportage.

À Casablanca, vendredi 10 juillet à midi, sur le trottoir de l’agence Royal Air Maroc située avenue des FAR, la file d’attente ne cesse de s’allonger sous un soleil de plomb. Le nombre de personnes s’impatientant devant l’enseigne rouge est si important qu'il a fallu l'intervention des forces de l’ordre pour éviter les débordements.

Formée, en particulier, de Marocains résidents à l’étranger (MRE) et d’étrangers, cette foule si dense a appris, mercredi 8 juillet en début de soirée, que les frontières du pays allaient bientôt rouvrir. Trois ministères ont annoncé la bonne nouvelle dans un communiqué conjoint. Selon ce document, les étrangers ainsi que les MRE qui étaient bloqués dans le royaume à cause de la crise sanitaire peuvent repartir à compter du mercredi 15 juillet. Ce qui n’a pas été clairement écrit, c’est que ce voyage de retour n’était possible que par avion et par des vols spéciaux.

​La compagnie aérienne nationale marocaine Royal Air Maroc (RAM) et sa consœur low cost Air Arabia sont les seules autorisées à participer à l’opération. Résultat: au lendemain de l’annonce tripartite, ils sont plusieurs centaines à se ruer chaque jour vers les agences des deux compagnies, surtout celles de la RAM. Tous attendaient la réouverture des frontières avec impatience. Même si le royaume n’a rouvert pour eux que ses portes aériennes et pas encore maritimes ou terrestres, «c’est tout de même une délivrance». Ils vont enfin pouvoir retrouver leur famille, mais pour cela, il leur faut d’abord se procurer un ticket d’avion. Et la tâche s'annonce rude.

«Torture»

Après de vaines tentatives sur le site marchand de la RAM, surbooké par les demandes trop importantes, ils sont plus de 150 ce vendredi matin devant l’agence de la compagnie. Disposés séparément, comme il est de coutume au Maroc, les femmes forment une longue file et les hommes une autre, encore plus étendue. L’attente dure plusieurs heures. Certains sont exaspérés, comme Amine*, 22 ans.

C’est la troisième fois que ce jeune Maroco-Suédois vient modifier la date figurant sur son billet d’avion pour Stockholm. Son retour était initialement prévu pour le 20 mars. Bloqué au Maroc depuis, il espère rentrer le plus tôt possible. Sa double nationalité le rend éligible à quitter le territoire dès le 15 juillet, mais il peine à décrocher le ticket salvateur. Il trouve dommage que l’annonce officielle soit si floue.

«Je ne sais même pas si la Suède est incluse dans le fameux programme de vols spéciaux… Attendre des heures dans cette chaleur, au milieu d’une foule massée en pleine pandémie est une véritable torture. Je veux juste rentrer chez moi», déplore-t-il à Sputnik.

Amine* est arrivé à 8 heures devant l’agence, soit une heure avant l’ouverture des portes. À midi, il attendait toujours son tour.

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Quelques mètres plus loin d’Amine, Khadija*, sexagénaire à la mine lasse et au corps chétif, est en sueur. Elle attend depuis plus d’une heure sous une chaleur frôlant les 29°C. Cette travailleuse en Espagne espère, elle, pouvoir se procurer un billet et retrouver son conjoint au plus vite. Ce qui l’exaspère le plus, c’est la condition exigée par les autorités marocaines de présenter avant l’embarquement un test PCR de moins de 48 heures ainsi qu’un test sérologique pour chaque voyageur âgé de plus de 11 ans.

«J’ai deux filles et un garçon. En moyenne, le prix des tests s’élève à 600 dirhams (près de 60 euros). Cela va me coûter quasiment 3.000 dirhams (300 euros), c’est plus cher qu’un billet d’avion», ironise-t-elle, amère, auprès de Sputnik.

Au milieu des cortèges désordonnés, certains viennent demander s’il est possible de voyager à l’étranger en tant que touriste marocain. Le communiqué officiel n’a pas été non plus clair sur ce point. C’est ce qui a poussé le ministre marocain des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l'étranger, Nasser Bourita, à rectifier le tir le lendemain de l’annonce. Lors d’un briefing tenu devant le Conseil de gouvernement, il a souligné qu’il n’était pas question de réouverture de frontières, mais d’une «opération exceptionnelle».

«Parcours du combattant»

Cette opération concerne aussi les citoyens marocains résidant ou bloqués à l’étranger et leurs familles. Ces derniers peuvent regagner le sol marocain dès le 15 juillet, s’ils le peuvent, par voies aériennes et maritimes. Comme pour les MRE et étrangers en partance du royaume, les voyages par avion ne sont possibles qu’à bord des vols spéciaux de la RAM et d’Air Arabia. Par bateau, les départs ne sont prévus que depuis les ports de Sète en France et de Gênes en Italie.

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À Ceuta et Melilla, les enclaves espagnoles en territoire marocain, la situation est encore plus chaotique. Les Marocains bloqués depuis plus de quatre mois dans les postes frontaliers espagnols espéraient rallier Tanger par le sud en voiture. Désormais, ils sont contraints de se rendre jusqu’à Sète ou Gênes. Un trajet qui coûtera plus cher que prévu et fera durer plus longtemps leur voyage. Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à dénoncer ce «parcours du combattant». Là encore, aucune précision n’a été donnée jusqu’à présent concernant les compagnies maritimes engagées dans cette opération.

​Othman Naciri est parmi ces nombreux voyageurs contraint de faire demi-tour sur l'autre rive de la Méditerranée. Ce réalisateur et cinéaste marocain est bloqué en Espagne avec sa petite famille depuis plus de quatre mois.

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Wiqaytna: sur les traces de l’application marocaine de traçage
Deux jours avant l’annonce de la problématique «opération exceptionnelle», le ministre de la Santé marocain Khalid Ait Taleb avait publié une circulaire.Ce document impose aux «revenants» 14 jours de confinement à domicile, avec utilisation de l’application de traçage marocaine Wiqaytna pour éviter la propagation du nouveau coronavirus.

Au samedi 11 juin, le Maroc comptabilisait 15.542 cas confirmés de Covid-19 et 245 décès depuis le début de la crise sanitaire à la mi-mars dans le royaume. La crainte de nouvelles contaminations risque de retarder l’ouverture totale des frontières.

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