Un édito de Jacques Sapir à retrouver en podcast dans l’émission Russeurope Express du 9 juillet.
Mais ce qui est clair, c’est que la question de l’énergie, de sa production, de sa distribution et de sa consommation, sera décisive. En effet, lors de ce que l’on appelle les Trente Glorieuses, cette période de forte croissance qui permit la reconstruction et le développement du pays après la guerre, transformant la France en profondeur, cette question de l’énergie fut centrale. Car, à la différence de l’Allemagne, qui disposait à la fin du XIXe et au début du XXe siècles d’amples ressources en charbon, la France a historiquement connu une situation de pénurie d’énergie.
Le basculement, avec la seconde révolution industrielle, du charbon vers le pétrole, n’a fait que perpétuer cette situation. La décision de constituer deux sociétés publiques, EDF et GDF, et de développer sur base nationale une société pétrolière d’importance, furent les réponses qui permirent au pays de se développer et de se moderniser de manière accélérée. La décision du tournant vers l’électricité nucléaire lors de la première crise pétrolière de 1973 a été le dernier symbole d’une politique énergétique pensée par l’État de façon globale, et mise au centre des décisions industrielles et de consommation.
À partir des années quatre-vingt-dix, avec le tournant idéologique qui conduisit à la domination du néolibéralisme, on a procédé au démantèlement de cette politique. Les compagnies publiques furent progressivement privatisées, en particulier pour complaire aux directives européennes qui voulaient imposer le principe de concurrence dans tous les secteurs.
Court-termisme du marché
Pourtant, comme le montrent de nombreuses études économiques qui ont par exemple analysé la crise énergétique californienne des années 1990, la privatisation ne se révèle pas viable dans le domaine de l’énergie. À cela, deux raisons: la distribution se fait en réseau, et les réseaux sont à rendements croissants. Plus un réseau est grand et plus il est efficace, or l’ampleur comme la durée des investissements nécessaires ne sont pas compatibles avec le calcul court-termiste du marché.
Globalement, la transition écologique, qui devrait nous conduire à réduire drastiquement la part des énergies carbonées, impose un contrôle accru de l’État et d’importants investissements publics. Sait-on que toute éolienne a sa contrepartie en centrales thermiques pour les jours où le vent ne souffle pas? Sait-on que les panneaux solaires, dont le rendement est meilleur que l’éolien, imposent eux aussi la construction de sources d’énergie thermique?
De fait, les seules sources décarbonées susceptibles d’assurer une fourniture d’énergie constante et indépendante des aléas sont l’hydraulique et la géothermie, sans oublier le nucléaire. Autant de sources qui imposent des investissements conséquents, rentables uniquement dans la durée. Vouloir mettre en œuvre les priorités énoncées par la Convention citoyenne pour le climat impose donc de réfléchir sur l’organisation globale du système énergétique en France, et la place de l’État.
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