Comme dans de nombreux autres pays, le débat sur le racisme est reparti de plus belle au Canada depuis la mort de George Floyd, ce citoyen noir de Minneapolis mort durant une interpellation. La question du profilage racial occupe une place prépondérante dans ce débat, surtout qu’en trois mois, huit personnes amérindiennes ont été tuées lors d’interventions policières.
Le «racisme systémique», une réalité pour Justin Trudeau
Maria Mourani est criminologue réputée et auteur de plusieurs ouvrages importants sur le crime organisé (notamment Gangs de rue Inc. aux Éditions de l’Homme, 2009). Selon elle, l’enjeu du racisme dans la police est beaucoup plus complexe que ne laissent transparaître les grands médias nationaux et certains politiciens.
«Premièrement, il faut faire la différence entre le racisme et la discrimination, ce n’est pas exactement la même chose. […] Deuxièmement, il y a une grande différence entre le Canada et les États-Unis et particulièrement entre le Québec et les États-Unis. Il faut le dire très clairement. Aux États-Unis, le système est effectivement marqué par le profilage racial et c’est cohérent historiquement, mais on ne pourrait pas en dire autant du Canada», souligne d’abord la criminologue au micro de Sputnik.
Régulièrement sollicitée pour donner des formations aux policiers du Québec, la criminologue reconnaît que certains agents peuvent avoir des comportements racistes, mais récuse le concept de racisme systémique, qu’elle juge beaucoup trop englobant. Ancienne députée au Parlement fédéral (2006-2015), Mme Mourani est pourtant reconnue pour ses prises de position en faveur d’une plus grande acceptation de la diversité culturelle.
«Au Québec, nous n’avons pas un système raciste. Ce n’est pas vrai. Le système n’est pas raciste. Il n’y a pas de pratiques écrites et de règles qui discriminent les personnes “racisées”. […] Par contre, cela ne veut pas dire que le système, en raison de différents facteurs, ne puisse pas en venir à écarter certaines personnes, par exemple les femmes à une autre époque. Pendant longtemps, il n’y a eu que des hommes dans la police», nuance-t-elle en entrevue.
Profilage racial: des rapports accablants pour la police
Maria Mourani entend bien les revendications de certains groupes, mais observe que les contrôles abusifs ne sont pas forcément fondés sur la race. Elle estime que les interventions jugées injustifiées sont souvent le fruit «de mauvais profilages», basés sur des stéréotypes aussi variés que le port de tatouages et le style vestimentaire. «Les hommes dans leur ensemble sont aussi plus interpellés que les femmes. De même, les jeunes sont une catégorie ciblée et profilée», précise-t-elle.
«Le profilage racial signifie qu’un policier va interpeller un individu sur la base de sa race et non de l’information dont il dispose. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce qu’on appelle le profilage racial est de l’ignorance. J’ai constaté sur le terrain qu’il y a certaines formes de catégorisation de la criminalité à partir d’éléments raciaux, par exemple sur les gangs de rue. Dans leurs formations, les policiers ont appris que les gangs de rue étaient surtout formés de Noirs et c’est un problème», déplore l’expert.
Maria Mourani estime que la recherche en criminologie a une part de responsabilité dans ce qui est aujourd’hui perçu comme de graves cas d’abus de policiers envers des personnes issues des minorités visibles. Elle considère que des clichés ont pris forme dans la littérature scientifique et imprègnent maintenant l’imaginaire de certains agents de la paix.
«Depuis les années 1950, toutes les études ou presque ont mis l’accent sur l’ethnicité des membres des gangs de rue. Même les études réalisées au Canada ont été faites sur cette base. […] Ce que je dis aux policiers, c’est d’utiliser davantage le renseignement. Il faut arrêter de regarder la criminalité uniquement d’un point de vue racial», conclut l’ex-députée fédérale.