L’indignation liée à la mort de George Floyd a rapidement traversé les frontières des États-Unis pour se répandre dans plusieurs pays, parmi lesquels le Canada voisin. Depuis, la question du racisme systémique fait tous les jours les manchettes au pays de l’érable. Le Canada est-il lui aussi traversé par ce «mal invisible»?
Pour faire le point sur cet enjeu controversé, Sputnik s’est entretenu avec Joseph Yvon Thériault, sociologue et auteur de nombreux ouvrages sur des questions liées à l’identité. En janvier 2019, il a fait paraître Sept leçons sur le cosmopolitisme aux éditions Québec Amérique.
Sputnik: Tout d’abord, qu’est-ce que ce racisme systémique évoqué dans tous les médias? Ce phénomène est-il aussi présent au Canada?
Joseph Yvon Thériault: «Le concept de racisme systémique n’est pas le plus fou des concepts inventés par les post-colonialistes. Dans la mouvance postcoloniale, plusieurs choses m’apparaissent purement idéologiques, mais l’idée fondamentale de ce concept est que le passé colonial et raciste des sociétés occidentales a laissé des traces.
Malgré les chartes, l’interdiction formelle des discriminations et l’avancée des droits civiques à partir des années 1960, il reste des séquelles un peu partout. Même dans les sociétés comme le Canada et le Québec, qui n’ont pas de lourd passé colonial, on s’aperçoit que certains faits persistent, par exemple la sous-représentation des minorités visibles dans les hauts postes administratifs.
J’ai aussi consulté des données qui montrent que des diplômés issus des minorités peuvent avoir plus de difficulté à intégrer le marché de l’emploi. Il y a aussi la question du profilage racial par la police: on peut voir que les interpellations sans constat sont plus fréquentes pour les personnes d’autres groupes.
Sputnik: Que faire alors pour combattre ce phénomène?
Joseph Yvon Thériault: «Il n’y a pas de réponse universelle au phénomène. On est en train de mondialiser l’expérience américaine. D’ailleurs, aux États-Unis, il n’y a pas encore seulement les séquelles induites par un système, il y a encore une ségrégation culturelle et spatiale. Il y a une histoire d’affrontements entre les communautés blanches et noires: les États-Unis se sont construits en grande partie sur cet affrontement racial. C’est resté dans les mœurs politiques. […]
Aux États-Unis, c’est clair que l’on peut penser à réformer des corps policiers qui ont cultivé à travers l’histoire un conflit avec les communautés noires. Par contre, ce rapport conflictuel de la police n’est pas quelque chose de particulièrement canadien, à moins de parler des communautés autochtones. […]
Il faut rappeler que le Canada a été créé par des Anglais, qui ont refusé le libéralisme «cowboy» américain, le libéralisme de la frontière. Au Canada, nous n’avons donc pas à discuter du démantèlement de nos corps policiers. Un Premier ministre comme Justin Trudeau ne fait pas ces distinctions importantes. La force médiatique et intellectuelle américaine fait en sorte que nous sommes en train de tenter de résoudre avec la même recette des situations qui sont très diversifiées. L’Amérique impose son impérialisme culturel.»
Sputnik: Vous évoquez le parti-pris de Justin Trudeau. Le Premier ministre répète que le racisme systémique doit être combattu au Canada et il s’est agenouillé lors d’une manifestation en signe de soutien à cette cause. Trudeau devrait-il prendre part aussi directement à ce débat?
Joseph Yvon Thériault: «De façon générale, ce n’est pas le rôle d’un chef d’État de s’inscrire directement dans un mouvement social. Le Premier ministre Trudeau doit écouter la rue, il doit prendre des positions par rapport à la rue, mais il ne doit pas être dans la rue. Trudeau a cette tendance-là sur des enjeux qui concernent par exemple les Premières Nations. Il fait souvent preuve d’un abus de théâtralité. […]
Sputnik: Certains observateurs ont affirmé que le Québec serait davantage marqué par le racisme systémique que le reste du Canada, essentiellement anglophone. Qu’en pensez-vous?
Joseph Yvon Thériault: «Il n’y a pas vraiment plus de racisme au Québec que dans le reste du Canada. Par contre, il y a quand même quelque chose au Québec qui fait que les minorités culturelles s’associent moins à la majorité. […] Cette disparité tient à l’existence du mouvement nationaliste et au fait qu’il y a un enjeu d’intégration qui n’a pas été réglé. […] Les Canadiens anglais sont très intégrés à l’univers culturel nord-américain. Même s’ils disent mieux reconnaître la diversité, le fait est que les membres des minorités ont plus de facilité à se fondre dans l’ensemble nord-américain que dans la société québécoise.»