Dans la nuit du samedi 20 au dimanche 21 juin, des tirs nourris d’armes lourdes ont retenti dans la zone de Bignona (région de Ziguinchor au sud du Sénégal). Le 15 juin dernier, un véhicule militaire sénégalais avait sauté sur une mine entre deux localités de Ziguinchor. Deux militaires ont été tués sur le coup, deux autres «grièvement blessés». Deux jours auparavant, huit «diambars» (mot wolof signifiant «fort» pour désigner les soldats sénégalais) avaient échappé à la mort après que leur véhicule a percuté une autre mine.
Je m’incline devant la mémoire de 2 de nos jambars tombés sur le champ de l’honneur, en Casamance.
— Macky Sall (@Macky_Sall) June 15, 2020
Au nom de la Nation, j’adresse mes condoléances à leurs familles et aux forces armées. Prompt rétablissement aux blessés.
Ces incidents, les plus graves survenus depuis plusieurs mois, consacrent le retour des hostilités entre militaires sénégalais et rebelles du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC). Le conflit, entamé en décembre 1982, risque-t-il de s’exacerber après une longue période d’accalmie?
«La guerre est finie, mais la paix n’est pas là», résume pour Sputnik Robert Sagna, président du Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (GRPC), une structure soutenue par les pouvoirs publics sénégalais et supposée avoir l’oreille du Président Macky Sall. «Ces derniers événements entravent certes le processus de paix [parrainé par la Communauté de Sant’Egidio proche du Vatican, ndlr] en cours, le rendent plus difficile, mais ils ne le mettent pas en danger», ajoute cet ancien ministre d’État et ex-maire de la ville de Ziguinchor.
Profitant de l’absence des populations, des franges du MFDC ont pris possession des lieux abandonnés et transformé le vide ainsi créé en des «cantonnements militaires».
Regain de violence en Casamance : Robert Sagna écarte le Mfdc - https://t.co/yrGsbbXykk pic.twitter.com/LcCWS7Rtyi
— Sénégal Actu (@SenegalActu1) June 18, 2020
Robert Sagna, président du GRPC
En même temps, ils ont développé sur place une économie parallèle, plus mafieuse que légale.
«Les bandes armées ont sanctuarisé des espaces qui ne leur appartiennent pas et qui restent des territoires occupés. Quand les populations ont fui, les rebelles ont intensifié le trafic de bois et le vol de bétail. Ils alimentent Ziguinchor et les autres centres urbains en grandes quantités de viande de brousse. Ils ont renforcé la culture de l’anacarde, pour laquelle ils tirent de substantiels revenus monétaires.
Et comme il n’y a pas eu en amont de négociations entre autorités sénégalaises et représentants de la rébellion pour organiser le retour des déplacés, personne n’ose s’approcher des zones conquises», analyse pour Sputnik un membre de la société civile locale qui a requis l’anonymat par peur de représailles contre sa famille, restée au village.
«Faux», rétorque Jean-Marie François Biagui, ancien secrétaire général du MFDC, fondateur et président du Parti social-fédéraliste (PSF), une entité éloignée de la revendication d’indépendance du MFDC originel et favorable à un grand ensemble fédéral sénégalais, qui prendrait en compte des spécificités régionalistes comme celles de la Casamance, cette région du Sud du pays.
Une économie informelle en plein essor
Dans leur volonté de fermer la porte à tout retour des populations, les bandes rebelles ont érigé en ligne de défense avancée des champs de mines antichars, en amont des «cantonnements» qu’elles occupent. Les civils paient un lourd tribut à cette tactique, mais les militaires ne sont pas épargnés.
«Si l’armée ne progresse pas vers des positions plus avancées, rien ne sera résolu: ni le trafic illégal de bois, ni les vols de bétail, encore moins la réinstallation des populations civiles qui ont pris le risque de revenir», avertit le membre de la société civile contacté par Sputnik.
L’immobilisme sur le terrain semble être la conséquence du blocage des pourparlers entre «Atika», la faction militaire indépendantiste dirigée par Salif Sadio, et l’État du Sénégal, avec comme facilitateur la Communauté de Sant’Egidio, proche du Vatican. D’ailleurs, Robert Sagna le reconnaît: rien n’avance à ce niveau.
L’équation Salif Sadio
Considéré comme un «dur», Sadio revendique l’héritage de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, fondateur du MFDC, décédé en janvier 2007.
«Salif Sadio ne s’est jamais rendu à Rome pour donner du poids aux pourparlers. Il se contente d’envoyer des seconds couteaux, qui ne peuvent prendre aucune décision majeure une fois sur place. C’est pourquoi il n’y a pas tellement de résultats. Pour nous, il n’est pas le déterminant majeur dans la perspective de résolution globale de la crise», indique Robert Sagna.
Pourtant, un communiqué de Sant’Egidio publié en février dernier rappelle «la volonté politique du Président Macky Sall et du chef du MFDC Salif Sadio de trouver une solution au conflit en Casamance qui afflige la région depuis plus de trente ans à travers des négociations […] interrompues durant plusieurs mois.»
Dans un communiqué, le chef de guerre de la branche armée du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), Salif Sadio, informe de sa volonté de parler aux Sénégalais ▼https://t.co/k79xPkeBpd#Kebetu #emedia #emediainvest #Senegal #iradio #icietailleurs pic.twitter.com/vowQ7BElxd
— emedia Sénégal (@emediasn) April 25, 2019
le chef rebelle Salif Sadio
«Beaucoup de rebelles ont accepté de rendre les armes pour revenir à la vie civile. On leur fournit les sols et du matériel afin qu’ils reviennent à l’agriculture dans le cadre de programmes de désarmement, démobilisation, réintégration (DDR). Je peux vous certifier qu’ils constituent la grande majorité de ceux qui étaient dans les maquis. Au moment où je vous parle, des populations entières ont fini de rejoindre leurs villages pour entamer une nouvelle vie», révèle Robert Sagna.
Sans être pessimiste, Alioune Tine, de l’ONG AfrikaJom Center, constate pour Sputnik que la question casamançaise est devenue plus complexe avec le jeu des acteurs et la problématique des ressources, l’arrivée de nouvelles générations de leaders et de combattants, la nature des mécanismes de médiation et l’influence des pays voisins. Tant que les points de blocage ne seront pas identifiés et discutés, il sera difficile de sortir d’un état de ni guerre ni paix.