Vénissieux, soir d’émeute. Des véhicules noirs de la police, initialement envoyés pour une affaire de braquage dans la région lyonnaise, se retrouvent dépêchés dans la cité pour interpeller des émeutiers. Les policiers mettent pied à terre et voient arriver une bande de jeunes. L’un des agents se dirige alors seul vers eux: «faites attention, vous allez vous faire contrôler.» Une brève discussion s’engage. Étonnés, les jeunes ont du mal à comprendre: «mais vous êtes qui?» Et l’agent de répondre: «mais je suis policier». La bande ne veut pas y croire. Pourquoi? «Parce que vous êtes poli», lui disent-ils, avant de repartir tranquillement sans prendre part à l’émeute.
Ce soir-là, ils ont eu affaire à Robert Paturel, négociateur du RAID. Une légende des forces de l’ordre: trente ans dans la police, dont un passage par la Brigade de recherche d’intervention (BRI), avant de rejoindre le RAID comme intervenant et instructeur. Il y a passé deux décennies.
En France, on ne tire pas dans le dos
Alors que le débat public vire au pugilat, cet ancien champion de France et d’Europe de boxe veut faire la part des choses. Face aux accusations de racisme et de violence qui ciblent la police, le vétéran écarte tout manichéisme. Si les jeunes individus étaient étonnés, c’est bien que les agents se laissent quelquefois aller. Et notre interlocuteur de plaider pour une exemplarité sans failles:
«On n’est pas obligés de parler sèchement et de hausser le ton, dit-il simplement. Quelle que soit la personne que vous contrôlez, le vouvoiement et la correction s’imposent. Vous n’êtes pas obligé d’être brutal», explique-t-il au micro de Sputnik France.
Expert en technique d’autodéfense, Robert Paturel a été confronté à la violence de forcenés ou de terroristes, comme en 1993, lors de la prise d’otages de Neuilly. Mais pour lui, la violence n’est jamais la solution. Seulement, peut-être, une option maîtrisée.
Pas de doute: les systèmes juridiques diffèrent profondément. Et après tout, les chiffres qui reflètent la violence inhérente à la société américaine lui donnent raison: 996 personnes ont été tuées par la police US en 2018, contre 150 officiers de police tués «in the line of duty» (en service) en 2018. La même année dans l’Hexagone, l’IGPN recensait 15 décès dus aux opérations de police, contre 25 agents des forces de l’ordre (11 policiers et 14 gendarmes) morts dans le cadre d’une opération de police. Ce qui inclut autant le sacrifice héroïque du colonel Arnaud Beltrame qu’un accident tragique ayant tué quatre gendarmes.
Dans un tel contexte, le manque de soutien de la hiérarchie à l’égard des agents le contrarie. Mais c’est quand Robert Paturel visionne des images d’agents pris à partie dans les manifestations ou les cités que son sang ne fait qu’un tour: «quand je vois la police qui recule, ça m’énerve!»
Les policiers sont-ils démunis? La nouvelle interdiction faite aux policiers d’user de la technique d’étranglement (ou de «contrôle tête») par Christophe Castaner lui apparaît incompréhensible:
«Ce qui m’a mis en colère, c’est l’interdiction. C’est le moyen le plus doux d’interpeller sans porter de coup! Ça fait 20 ans que l’on pratique des étranglements et ça s’est toujours bien passé. Alors maintenant, un homme en serait mort et on veut tout interdire?»
Une mort dont les causes ne sont d’ailleurs pas avérées. Dans l’affaire Cédric Chouviat, mort lors d’une interpellation le 3 janvier 2020, l’utilisation de la clé d’étranglement n’est pas certaine. «À mon avis, il n’est pas mort de l’étranglement», estime l’ancien instructeur du RAID, qui reste prudent: «l’étranglement empêche en effet le sang d’arriver au cerveau. Si vous restez longtemps, il y a des lésions, bien sûr», admet Robert Paturel. Mais un geste précis permet de diminuer le tonus musculaire pour maîtriser l’individu en moins de cinq secondes.
Le stress, plutôt que le racisme, serait la cause des bavures
Le pistolet à impulsion électrique, désormais envisagé par le ministère de l’Intérieur pour remplacer la technique de contrôle de tête, ne semble pas la solution idéale aux yeux de Robert Paturel: «le type électrocuté tombe inerte et en plus, il peut y avoir des problèmes cardiaques», constate-t-il. C’est sûr: aux États-Unis, plus de 1.000 décès ont été relevés depuis l’année 2000 à la suite d’une décharge de Taser. Bien que 150 seulement seraient des cas directement liés au tir, l’arme a de quoi inquiéter, surtout au vu du contexte actuel, alors que les interventions policières se voient promptement accusées de racisme. Comment expliquer les bavures?
«Souvent, le problème qui arrive, c’est par le stress, le policier devient violent par peur. C’est comme ça qu’arrivent les accidents», estime l’ancien flic.
Robert Paturel a créé avec d’autres anciens du RAID l’Académie des Arts du combat (ADAC), où il transmet aux civils son expérience de la boxe et des techniques d’intervention. Gérer une situation de stress intense a été une problématique constante dans son métier et son enseignement. «L’action tue l’émotion», explique-t-il dans son essai Mes réflexions sur le combat (Éd. Fol’fer, 2016).
L’habitude aussi, ce qui renvoie au problème de l’entraînement: «le manque de formation continue est réel», souligne Robert Paturel. «On pare au plus pressé. Un agent habilité pour le tonfa ne recycle pas toujours.» Un penchant qui exaspère le vétéran:
«Ce que je dis souvent quand un collègue me dit “je n’ai pas le temps de m’entraîner”, c’est que le plus gros du travail que j’ai fait, c’était en salle sur mes heures, pas pendant celles de travail. Si on a un petit peu d’honneur, c’est de bien faire son travail et donc de se préparer.»
Une leçon d’honneur plus que de morale, donc, alors que le racisme dans la police a fait l’objet d’une campagne médiatique ces dernières semaines.
Le jeune gaulois à Bobigny
S’il n’excuse rien, Paturel craint que les dynamiques sociales contemporaines ne s’aggravent: «un jeune qui vient d’un petit village du fond de la France entre dans la police et se retrouve catapulté à Bobigny. Là, dès qu’il sort, il se fait insulter. Certains n’ont peut-être pas le niveau intellectuel pour faire la part des choses… Il se dit qu’il est un Gaulois qui se fait insulter par des Arabes et il devient raciste.» Politiquement incorrect, Robert Paturel? «Quand je le dis, on me traite de facho», regrette-t-il. Avec l’air de dire: mais si l’on ne fait pas la part des choses, jamais les problèmes ne seront résolus.