Instructeur aux techniques de sécurité et d’intervention au sein de la police, Hervé Fourcade ne décolère pas. Membre du syndicat Unité SGP-FO, il perçoit les dernières décisions de Christophe Castaner comme une sentence. En effet, après un premier discours lundi 8 juin annonçant l’interdiction de la technique d’étranglement, puis des hésitations face à la fronde syndicale, le ministre de l’Intérieur a finalement décidé d’interdire, le 12 juin dans la soirée, la méthode dite «d’étranglement» ou de «contrôle tête.»
Une technique largement utilisée par la police lors des interpellations les plus difficiles, qu’enseigne évidemment Hervé Fourcade. Désormais, il ne le pourra plus: «cette technique, qui consiste à enserrer le cou de manière prolongée afin de réduire l’afflux d’oxygène et limiter le tonus musculaire, ne sera plus enseignée dans les écoles de police», lit-on dans le communiqué de presse signé de Christophe Castaner et Laurent Nunez. «Elle ne l’est déjà plus en gendarmerie ou dans les rangs de l’administration pénitentiaire», est-il fait remarquer par ailleurs. La décision s’appuie sur les préconisations du groupe de travail dirigé par les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie.
Chauvin n'aurait pas tué Floyd s’il avait été formé en France
Malgré tout, la pilule passe mal, comme une remise en cause du travail policier, cédant aux pressions militante et médiatique:
«Des gens font un parallèle avec les États-Unis, ça me fait hurler,» a-t-il confié à Sputnik avant d’ajouter: «Quand je vois ce qui est arrivé à Floyd, ça me fait bondir. Le parallèle avec l’affaire Traoré n’a rien à voir! Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un problème de contrôle de tête: personne n’en a parlé».
Rien n’est donc sûr de notre côté de l'Atlantique. Le «premier flic de France» a pourtant imposé aux agents de revoir leur catalogue technique présumé coupable. Une injustice selon Fourcade: les techniques enseignées en France excluent déjà la «méthode» utilisée par Derek Chauvin, qui a maintenu son genou sur la nuque de Floyd plus de huit minutes durant.
«Monsieur Floyd était à la fois entravé et menotté, ça ne correspond pas à ce qu’on enseigne! En France, quand le menottage est fait, on remet le suspect debout. Si l’individu est blessé ou inconscient mais respire, on le menotte uniquement par devant, pour permettre de le placer en position latérale de sécurité.»
Ainsi notre interlocuteur aurait-il espéré une défense plus vigoureuse des agents français de la part du ministre de l’Intérieur. Par les chiffres, notamment: en 2018 aux États-Unis, 996 personnes ont été tuées par la police et 150 agents sont décédés «in the line of duty». La même année en France, l’IGPN recensait 15 décès dus aux opérations de police et 25 agents des forces de l’ordre perdaient la vie dans le cadre d’une opération de police. Bien que les méthodes statistiques diffèrent, ces chiffres expriment le fossé qui sépare les deux pays: les États-Unis dénombreraient approximativement 67 fois plus de décès du fait d’une intervention des forces de l’ordre que la France, pour une population seulement cinq fois supérieure.
Pas de doute: c’est le terrain qui commande
Bien sûr, tout n’est pas simple dans l’Hexagone. Hervé Fourcade admet sans peine que les techniques qu’il enseigne à ses élèves seront éprouvées sur le terrain. Il faut dire que ce terrain, il le connaît: flic pendant deux décennies dans les zones les plus sensibles de France, notamment le quartier de la Grande-Borne à Grigny (91), il a croisé à plusieurs reprises le chemin d'Amédy Coulibaly, le tueur de l’hypercacher et de la policière Clarissa Jean-Philippe, alors qu’il n’était qu’une petite frappe multirécidiviste.
«En situation de stress, le sang va dans les muscles et non dans le cerveau,» explique-t-il: une réaction physiologique plus connue sous le nom «d’effet tunnel». Et qui empêche quelquefois le discernement des agents quand ils sont confrontés à des individus refusant d’obtempérer avec violence. À cela il faut ajouter la réalité de la police elle-même qui est, en fin de compte, à l’image de la population: «dans la police il n’y a pas que des combattants. Nous avons des grands, des petits, des gros et d’autres plus chétifs»... certains qui sont bons et d’autres qui le sont moins, en somme.
«Ce qu’on réclame d’un policier, c’est qu’il soit bon psychologue, bon procédurier, avec une capacité physique hors norme et maîtrisant les techniques,» résume Fourcade. Un défi quotidien, d’autant plus quand tout semble manquer aux agents: «je veux bien une police irréprochable, mais on ne se donne pas les moyens d’une véritable formation continue!» Car les techniques exigent de l’habitude. Et l’instructeur de regretter que le ministre ait pris un autre chemin:
«Castaner propose de généraliser l’usage du taser pour suppléer le contrôle tête. Mais que fait-on quand on a un policier au sol, avec un individu en train de le boxer dans sa garde [entre ses jambes, ndlr]? S’il n’arrive pas à se défendre, faut-il utiliser le taser?»
Une décision risquée, du fait de l’imprécision de l’arme. Aux États-Unis encore une fois, plus de 1.000 décès à la suite d’un tir de taser par la police ont été relevés depuis l’année 2000 par l’agence de presse Reuters. Seuls 150 seraient des décès directement causés par cet équipement, mais le danger de telles armes supposées non létales sur des personnes présentant des problèmes cardiaques ou neurologiques est d’ores et déjà constaté. En France, 15.000 tasers équipent déjà les forces de l’ordre, mais les syndicats soulignent que la généralisation exigera une formation accrue, et donc du temps. Ainsi le pistolet à impulsion ne saurait-il être la solution miracle aujourd’hui présentée par Beauvau.
Trois secondes pour neutraliser un individu violent
«Je préfère un bon contrôle tête avec saisie des jambes. C’est plus propre. Le contrôle de tête peut paraître impressionnant, mais si c’est bien fait, ça va! Je préfère ça à des types qui mettent des coups de matraques n’importe comment.»
Correctement fait, c’est-à-dire en enlaçant le cou de l'individu en positionnant le pli de son coude au niveau du larynx, afin de contrôler l'individu le temps strictement nécessaire à son menottage. De façon non prolongée, il réduit le flux sanguin et limite donc le tonus musculaire. Davantage, et l’afflux au cerveau est menacé. Si une interruption prolongée peut certes conduire à des lésions, trois secondes peuvent toutefois suffire à la neutralisation. Si besoin, «le collègue à côté doit pouvoir contrôler aussi». Mais les préférences des instructeurs ont été écartées.
Le 13 juin au matin à Nice, trois agents de la police aux frontières intervenaient à la gare de Thiers. Répondant à l’appel au secours d’une femme de ménage violentée par son conjoint, ils la trouvèrent en pleine dispute avec celui-ci. Mesurant 1m90, agressif et refusant d’être emmené au poste pour vérification d’identité, ce dernier s’est tout d’un coup jeté sur l’un des trois fonctionnaires de police pour l’étrangler. Les deux autres hésitèrent un bref instant: pouvaient-ils encore utiliser l’étranglement du cou, par derrière? La polémique actuelle a fait son effet: les policiers ont préféré se passer de la technique, essayant de saisir un pied ou un bras pour amener le forcené au sol et le menotter. L’interpellation a viré au pugilat, et chacun des trois agents a été blessé: a priori, entorses, traces de strangulation, côtes cassées. Une véritable «illustration de la non-utilisation de la clé d’étranglement,» selon Laurent Martin de Frémont, le Secrétaire départemental d’Unité SGP dans les Alpes Maritimes, qui nous a rapporté les faits. Et le policier de conclure: «et ça, ça va se multiplier, c’est une certitude».