«Aristote justifie l’esclavage. Alors que fait-on? On brûle Aristote? On brûle Platon?»

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Que représentent les statues aux yeux de l’humanité? Après l’historien Dimitri Casali, Sputnik a fait appel à René Chiche, professeur de philosophie, qui s’insurge des récentes dégradations infligées à certaines statues en Occident.
«Nous avons affaire à ce que les Grecs appelaient la barbarie, des barbares, c’est-à-dire ceux qui sont privés de la langue, de la culture, et sont finalement privés de leur identité réelle. Ça me stupéfie et en même temps, j’ai pitié d’eux, ça m’attriste.»

Voilà ce que René Chiche, professeur de philosophie, affirme à propos des destructions de statues qui ont eu lieu ces dernières semaines dans le contexte des manifestations «antiracistes» déclenchées par la mort de George Floyd aux États-Unis.

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Des statues dégradées de personnalités que l’AFP juge ainsi «controversées», comme Winston Churchill, Christophe Colomb ou encore de Léopold II. Deux statues de l’ancien roi des Belges ont notamment été déboulonnées à Anvers et à Auderghem par des activistes souhaitant protester contre la violence du système colonial au Congo belge. Paradoxalement, rien de similaire n’est constaté à Kinshasa, où les statues de Léopold II, de son successeur Albert Ier et de Henry Stanley trônent paisiblement dans le parc présidentiel de la capitale. José Batekele, directeur de collection au Musée national, s’en explique ainsi: «la statue de Léopold II, pour nous, ça reflète une histoire, une mémoire. C’est une référence pour nos enfants.»

Le retour aux «heures sombres»?

L’auteur de La Désinstruction nationale (Éd. Ovadia) s’inquiète ainsi de ces scènes qui lui évoquent «d’autres sombres scènes de l’Histoire». La destruction de statues peut se comprendre lorsqu’il s’agit «pour une population donnée, à un instant donné, de mettre par terre la statue d’un tyran ou d’un pouvoir que l’on est en train de subir ou dont on vient de se libérer.»

On se rappelle ainsi de la destruction de l’immense statue de Saddam Hussein à Bagdad en 2003, qui a symbolisé sa chute. Or, «Christophe Colomb, ce n’est pas Hitler». Cela n’a rien à voir, estime René Chiche, parce ce sont plutôt là des symboles qui évoquent le passé et relèvent du culte des morts, monuments par lesquels «l’Homme rend culte à l’Homme».

«L’espèce humaine est une espèce profondément religieuse, au sens étymologique. Ce qu’il y a d’humain dans l’Homme doit être cultivé, conservé. Depuis les tombes jusqu’aux statues en passant par les poèmes et les tableaux, tous ces monuments, toutes ces œuvres sont des éléments de ce culte. À chaque fois que l’on met à terre des statues ou des monuments, c’est évidemment à sa propre humanité qu’on s’en prend.»

L’historien ne met pas sur le même plan le déboulonnage des statues et la suppression provisoire d’Autant en emporte le vent du catalogue de HBO. Il constate, chez ceux qui saccagent les monuments, un phénomène de foule, une forme d’ivresse collective, chacun perdant tout jugement critique. Optimiste, il espère que la plupart d’entre eux «ne savent pas ce qu’ils font». Mais il voit dans la démarche de l’entreprise américaine la volonté de «réécrire l’Histoire et de tout mélanger» ce qui peut déboucher sur d’importantes dérives orwelliennes, dignes de 1984:

«Dans ce cas-là, on devra supprimer aussi 80% du patrimoine culturel et des œuvres artistiques. Aristote justifie l’esclavage. Alors que fait-on? On brûle Aristote? On brûle Platon? Il n’y a plus de culture, dans ce cas-là. Ces gens sont dangereux, parce qu’ils mélangent tout et mènent des luttes politiques qui ont des aspects parfaitement légitimes avec des moyens complètement inadaptés et disproportionnés.»

Attentif à la stricte définition du terme, René Chiche réfute le mot de censure, car c’est «l’autorité qui la pratique». Dans la situation actuelle, celui-ci préfère parler de «bruit», de «furie». Ce qui l’inquiète en outre, c’est la passivité des autorités en Occident, qui lui semblent absolument dépassées et qui laissent faire, de peur d’être accusées de répression.

«La paralysie, voire la lâcheté des autorités est déplorable, sans doute parce qu’elles-mêmes ne savent pas très bien ce qu’elles ont à défendre. La lâcheté du pouvoir est généralement proportionnelle à la trahison qu’il a commise lui-même vis-à-vis des valeurs et de celles de la République en particulier, qu’il ne cesse d’invoquer.»

Tandis qu’Emmanuel Macron a fustigé l’encouragement à «l’ethnicisation de la question sociale» par le monde universitaire, c’est le quotidien de référence qui évoque ce 12 juin un nécessaire «inventaire de l’inacceptable», afin de favoriser le vivre-ensemble. Comment en est-on arrivé là? Quels sont les facteurs de ces tensions politiques et historiques en Occident?

«La Désinstruction nationale»

Quant à ceux qui détruisent actuellement les statues, René Chiche tente une explication:

«Je crois qu’une grande partie des gens qui font cela ou qui applaudissent cela sont d’abord privés de culture, parce que cela veut dire qu’ils n’ont pas d’autre moyen pour exprimer leur révolte que cette violence-là.»

Celui qui se plaint dans La Désinstruction nationale du «quasi illettrisme» des élèves français observe que les jeunes générations ne lisent plus de livres et sont peu familières des médiations, qui demandent de «l’élaboration, de la temporisation». Un long article paru dans Marianne fait justement allusion à la facilité avec laquelle l’idéologie antiraciste «racialiste» pénètre chez les jeunes internautes, notamment via Instagram et les podcasts de Rokhaya Diallo. Pour René Chiche, l’essor des technologies modernes auxquelles les jeunes sont fortement accoutumés, fait que «l’émotion reste à son degré le plus primitif». Or les émotions primitives sont la peur, la rage ou la colère.

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Alors qu’il définit l’émotion comme la base de la construction d’une vraie pensée qui reste sinon abstraite et verbale, elle se doit d’être développée et élevée au niveau du sentiment par la culture et le langage, ce qui est «désormais inaccessible pour la plupart de ces jeunes». La multiplication des violences qu’il constate dans le corps social est ainsi le signe de sa santé chancelante. Selon lui, si de telles idéologies progressent, il faudrait avoir peur de l’avenir, digne des «films de science-fiction les plus terrifiants». Pour y remédier, il faudrait selon lui remettre à l’honneur deux facteurs essentiels négligés, l’éducation, c’est-à-dire «le rapport à l’autorité» et l’instruction.

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