Des élèves qui souffrent de «quasi-illettrisme», selon René Chiche. Qui est responsable? Les profs qui ont démissionné? Les ministres qui réforment chaque matin? L’idéologie «pédagogo»? Les parents d’élèves ou la société tout entière? Un peu tout le monde, selon ce professeur agrégé de philosophie depuis 30 ans.
Pourtant, après Najat Vallaud-Belkacem, Jean-Michel Blanquer incarnait en 2017 celui qui devait renouer avec les fondamentaux. Peine perdue selon René Chiche, auteur de La désinstruction nationale (Éd. Ovadia). Sa loi joliment nommée «Pour une école de la confiance», promulguée à l’été 2019, a rassemblé l’unanimité du corps enseignant contre elle.
«Je ne peux pas laisser dire que Jean-Michel Blanquer est un défenseur de l’Instruction publique quand, pour vendre sa réforme, il met en avant le fait que les élèves vont pouvoir enfin choisir leur enseignement de spécialité, parce qu’on met les élèves en situation de consommateur. Donc, on détruit l’autorité du professeur. On détruit l’autorité du savoir, donc on détruit l’institution dont on a la charge.»
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Sur le plan rhétorique, le ministre de l’Éducation nationale ravit ceux qui donnent le «la» en France, notamment les éditorialistes. Ses déclarations sur le remplacement de la loi républicaine par le séparatisme islamique dans certaines villes, comme Garges-Lès-Gonesse ou Roubaix, renforcent son image de républicain à poigne. René Chiche salue même dans son bilan deux mesures: le dédoublement des classes, ainsi que la distribution des Fables de la Fontaine pour chaque CM2. Mais le constat de «quasi-illettrisme» reste le même. Et ce n’est pas la proposition de l’un de ses prédécesseurs, Jack Lang, d’enseigner l’arabe au primaire qui va changer la situation.
«Nous avons des élèves qui ne parlent plus français, qui ne connaissent plus la langue française. Je veux bien qu’on leur apprenne l’arabe, le russe, le finnois, voire le latin ou le grec, toutes les langues font partie de la culture. Mais la langue natale, la langue dans laquelle on pense, il faut déjà la maîtriser, parce que c’est la base de l’acquisition de toutes les connaissances.»
Dans le premier chapitre de ce petit livre, je donne un aperçu du niveau réel d'élèves ayant passé inutilement quinze ans sur les bancs de l'école.
— René Chiche (@rene_chiche) February 26, 2020
Dans une démocratie normale, le ministre de l'éducation devrait être interrogé par des journalistes sérieux sur ce désastre.
Si. pic.twitter.com/wUd01w0J5p
Analysée régulièrement par le classement Pisa, la baisse de niveau des élèves français par rapport à leurs homologues –notamment asiatiques– est criante. En décembre 2019, l’Hexagone se classait en 22e position en lecture. Mais le taux de réussite au baccalauréat ne semble-t-il pas démontrer le contraire? Ils étaient 88,1% lors de la session de juin 2019 à l’obtenir. Le professeur de philosophie, vice-président du syndicat Action et démocratie, partage dans son livre une copie truffée de fautes, représentative selon lui de cette «désinstruction».
«Le bac ne vaut plus rien depuis longtemps […] J’ai des élèves qui sont en terminale, ils n’ont pas le niveau du cours moyen, en caricaturant. Mais comment sont-ils arrivés en terminale? Comment a-t-on accepté cela? À force d’accepter, on a laissé tout faire, on se résigne.»
Caricaturé comme décliniste, voire comme «facho» par certains de ses collègues, René Chiche réfute être encarté dans un parti. Il est en revanche impliqué dans les instances, représentant CFE-CGC et membre du Conseil supérieur de l’éducation.
«Le numérique est une catastrophe pour l’instruction […] Avec le numérique, on a affaire à un instrument qui atrophie les fonctions les plus évoluées du cerveau […] L’école doit être un sanctuaire, doit être préservée de ces technologies».
René Chiche évoque aussi un logiciel de vie scolaire: «Un instrument fantastique qu’on appelle Pronote, et qui permet finalement à tout un chacun de pénétrer dans la salle de classe, de voir ce qui s’y passe, y compris s’il n’y connaît rien, et d’avoir son avis là-dessus.» Une confusion des genres qui lui paraît révélatrice. Il fustige le facteur de cette «désinstruction nationale» qui lui semble essentiel:
«Le gros problème de l’école ne concerne pas que l’école, mais concerne toute la société. C’est un problème d’autorité. Plus personne ne sait où est sa place. Plus personne n’a confiance dans ceux qui ont le pouvoir. Le pouvoir ce n’est pas la même chose que l’autorité.»