Mardi 26 mai, quatre collégiens de 14 ans, dont deux maghrébins et un noir, se sont fait arrêter par des policiers de la BAC en civil à Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne. Plaqués contre un mur, ils ont été fouillés, interrogés sur leurs activités, ont dû montrer leur téléphone, se sont ensuite fait insulter puis ont été emmenés au commissariat, sans savoir ce qu’ils avaient fait de mal. Ils ont livré leur témoignage auprès de France Inter et Mediapart.
«Lui c’est un Africain, ça se voit», lance un policier, avant de demander aux autres ce qu’ils faisaient ensemble dans la rue. «On répond qu’on est sortis ensemble, et là ils nous disent : “Vous êtes gays!“», raconte Raphaël (les prénoms ont été modifiés), l’un des jeunes interpellés.
Son camarade Yassine poursuit: «On ne savait pas ce qu’ils voulaient. Ils nous ont fouillés l’un après l’autre, ils nous ont pris en photo l’un après l’autre. Ils nous ont traités de pédés. Ils m’ont traité de con».
Les policiers se sont également adressés aux deux collégiens noirs: «Eux, c’est des nègres, ils ne sont pas éduqués, ils ne savent pas s’habiller». Tous sont ensuite menottés et, après une attente de deux heures dans la rue, sont emmenés au commissariat du Kremlin-Bicêtre. Il s’agissait de leur première rencontre avec les forces de l’ordre.
Dans le véhicule de la police municipale, trois d’entre eux sont entassés aux côtés d’un policier qui «gonflait les bras». «Il n’y avait pas assez de place. Ils ont dit: “C’est pas grave, ils vont s’asseoir les uns sur les autres puisqu’ils sont pédés.” J’ai protesté, et j’ai pris une gifle du conducteur», témoigne Yassine.
Accusés de vol en réunion avec arme
Leurs parents ne seront pas prévenus de leur arrivée au commissariat. Les adolescents, déjà stressés et apeurés, sont menacés à plusieurs reprises: «Vous allez voir, vous allez morfler», «Le premier qui parle, je lui mets des gifles». Ils restent là encore une heure sur un banc, sans savoir ce qu’il leur arrive.
Finalement, les policiers finissent par appeler les parents, leur affirment que les jeunes ont volé un collier en or pour acheter de la drogue. Ils sont soupçonnés de vol en réunion avec arme blanche. L’alerte avait été donnée la veille, identifiant deux suspects d’origine maghrébine et un Noir. Les enquêteurs affirment disposer des preuves de leur culpabilité, notamment grâce à la vidéosurveillance.
Yassine est libéré en début de soirée, mais les trois autres font l’objet d’une garde à vue prolongée. Ils apprennent ce pourquoi ils ont été arrêtés, assurent qu’ils n’ont rien fait, en vain. Ils passeront la nuit en cellule, sans obtenir le droit de boire de l’eau ni d’aller aux toilettes, indique Mediapart.
Non-respect des droits des enfants
Yassine, libéré, raconte l’arrestation aux autres parents, deux d’entre eux contactent la députée de La France insoumise Mathilde Panot, qu’ils connaissent. «J’ai appelé partout, le commissariat, la préfecture, et des avocats», a-t-elle indiqué, affirmant que «les droits des enfants n’ont pas été respectés».
«Finalement c’est toute une confiance dans la police comme service public qui est abîmée dans ce type d’affaires», a-t-elle déploré.
Plusieurs anomalies sont révélées au cours des divers témoignages, notamment le fait que les policiers ont assuré aux parents que les enfants avaient vu un médecin, ce qui n’a été le cas que tard dans la nuit, quand Raphaël a été pris de crises de spasmophilie. Les parents n’ont pas non plus pu choisir un avocat.
Des perquisitions sont ensuite menées au domicile des adolescents, mais ne donnent rien. Ils sont libérés plus de 24 heures après leur interpellation, sans qu’aucun motif ne soit retenu contre eux. La mère de Yassine dépose plainte contre les policiers. Trois jours plus tard, le jeune est reconnu dans un parc par ces mêmes agents de la BAC, il est mis à l’écart et menacé de nouveau.
Deux enquêtes ouvertes
«Ils ont été interpellés du fait de leur couleur de peau, pas en tant qu’individus. Au cœur de cette affaire, il y a de la discrimination. Et c’est parce qu’il y a un phénomène discriminatoire qu’on s’autorise la maltraitance et le non-respect des droits», a déclaré Me Jérôme Karsenti. Au total, quatre plaintes ont été déposées à l’encontre des agents. Contactée par Mathilde Panot, la préfecture du Val-de-Marne a ouvert deux enquêtes: l’une pour les injures racistes, l’autre sur les droits bafoués en garde à vue.
Me Karsenti dénonce ce sentiment d’impunité chez les policiers, qui nuit dès lors à leur légitimité à garantir le maintien de l’ordre. «Lorsqu’on injurie des jeunes, on les violente, on fabrique du trouble à l’ordre public», a-t-il conclu.