Burkina Faso: du ciment contre du sang, une fausse bonne idée?

© Photo Pixabay / AhmadArdityDon de sang, image d'illustration
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Avec l'épidémie de coronavirus, de nombreux pays africains sont confrontés, plus que d'ordinaire, à une pénurie de sang. Au Burkina Faso, une entreprise a ainsi décidé d’encourager le don de sang en offrant un sac de ciment à chaque donneur. Mais cette idée qui a connu un franc succès suscite une certaine polémique.

Une poche de sang pour un sac de ciment, c'est l'idée assez «originale» qu'a eue Cimasso, la plus grande cimenterie du Burkina Faso, pour apporter une réponse à la pénurie critique observée dans certaines localités en cette période de crise sanitaire inédite.

À Bobo-Dioulasso, la deuxième plus grande ville du pays où elle est installée, l’usine, en collaboration avec le Centre national de transfusion sanguine (CNTS), s’est donnée pour mission de collecter jusqu’à 500 poches de sang.

Et les Bobolais (habitants de Bobo-Dioulasso) ne se sont pas fait prier pour suivre l’opération de collecte, qui s’est tenue du 27 au 29 mai dernier.

«Nous avons collecté un peu plus de 400 poches», a confié à Sputnik Parfait Yé, chargé de la promotion du don de sang au CNTS.

Mais cette opération est venue soulever un problème éthique que certains internautes n'ont pas manqué de souligner, et qui devrait compliquer voire ne plus permettre la tenue de collectes similaires à l’avenir.

«Donner son sang contre du ciment ôte au don de sang tout son caractère social. On risque, si l’on n’y prend pas garde, d'arriver au monnayage de l’action, que ce soit matériel ou financier», s’est inquiété, par exemple, Siaka Ouédraogo.

Un autre internaute, Abdoul Samad Ouédraogo, croit savoir que «ce type de don est interdit au Burkina Faso car le don de sang est bénévole et sans contrepartie». Mais interrogé par Sputnik, le juriste Jean Tiemtoré assure que, aussi contestable qu’il puisse être, «donner son sang en contrepartie de quelque chose n’est pas illégal» dans ce pays.

Du côté du CNTS, on admet volontiers que si la collecte a été un succès, «elle a néanmoins suscité un remous interne à cause des principes de bénévolat du don de sang».

«Il est vrai que les principes éthiques n'ont pas été respectés», a reconnu Parfait Yé.

D’ailleurs, dans un entretien accordé en août 2017 au quotidien burkinabè Le Pays, le Dr Alain Konseybo qui était le chef du service collecte au Centre régional de transfusion sanguine (CRTS) de Ouagadougou, avait alerté sur le risque sanitaire qu’impliquent les dons avec contrepartie.

«Selon l’OMS, pour un sang de qualité, on ne doit pas récompenser un donneur de sang. C’est-à-dire que le don de sang doit être gratuit, bénévole, volontaire. On ne doit pas le forcer non plus, parce que s’il n’accepte pas de dire la vérité de son plein gré lors du questionnaire, il peut transmettre des maladies à celui qui va recevoir son sang. Les examens ne peuvent pas vérifier toutes les maladies. Une fois que le don de sang est rémunéré, ou s’il y a un encouragement particulier, cela devient comme une compétition. Le donneur, même s’il vit des situations qui interdisent le don, sera tenté de tricher, parce qu’il veut une récompense», avait déclaré le médecin.

La collecte de sang, un enjeu de santé publique majeur

Au Burkina Faso où, selon le CNTS, «les poches de sang sont de plus en rares pendant que les besoins sont en croissance», l’épidémie de Covid-19 – qui a fait 53 morts sur 884 cas confirmés – a créé la psychose chez les donneurs et compliqué un peu plus la situation.

Malgré une hausse de la collecte de poches de sang enregistrée ces dernières années (84.370 poches en 2018 contre 77.779 en 2017), la production des produits sanguins est loin de satisfaire les besoins nationaux que l’OMS estime à 202.441 poches par an.

Cette situation, de l’avis de l’Observatoire national de la santé publique (ONSP), est due à une «insuffisance de la promotion du don de sang et de la couverture du territoire national par le CNTS, aux déficits dans l’acquisition et la gestion des ressources humaines, des équipements, des infrastructures, de la logistique, des réactifs et consommables».

Et pourtant, l’insatisfaction de la demande en produits sanguins favorise une persistance de la morbidité et de la mortalité liées aux anémies et aux hémorragies, en particulier chez la mère et l’enfant. En effet, 80% des poches de sang collectées le sont au profit de ces derniers.

L'engagement citoyen encouragé

Selon le CNTS, le Burkina Faso compte 30% de donneurs réguliers et 70% de donneurs occasionnels. Autant dire que les autorités sanitaires multiplient les actions pour inverser la tendance. Et l’une des stratégies adoptées pour accroître la production de produits sanguins est de miser sur une prise de conscience citoyenne et sur des actions comme celle d’Adams Yaméogo.

Don du sang, illustration  - Sputnik Afrique
Cet «homme au bras d’or» qui a sauvé «des millions de bébés»
Cet étudiant en deuxième année de lettres modernes à l'université Norbert Zongo de Koudougou (troisième plus grande ville après Ouagadougou et Bobo-Dioulasso) a créé en mai dernier «SOS Don de sang», un groupe Facebook qui regroupe actuellement près de 200 personnes, des jeunes pour la plupart. L’idée est de susciter une prise de conscience autour de cette cause, mais aussi de répondre à des besoins actuels et urgents de dons de sang.

 

«Je me sens particulièrement concerné par la question de la collecte de sang car j'ai vécu une expérience traumatisante où une proche est décédée après l'accouchement, par manque de sang. Aussi, j'ai constaté sur les réseaux sociaux que de nombreux SOS lancés pour trouver du sang sont ignorés ou ne trouvent pas vraiment satisfaction. J'ai donc décidé de créer ce groupe pour sensibiliser d’autres jeunes, organiser des collectes et contribuer à faciliter les recherches de donneurs», a confié Adams Yaméogo à Sputnik.

Motivé par les adhésions croissantes au groupe et les dons déjà effectués par certains membres, Adams Yaméogo s’est trouvé une vocation et envisage, dans un futur proche, de mener des campagnes sur Facebook et WhatsApp, ainsi que sur des radios locales, pour «faire adhérer massivement» d’autres jeunes à sa cause.

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