«Vaste sujet!», s'exclame Noam Anouar quand on le lance sur le lien police/population. Ancien agent des «RG» en Seine–Saint-Denis, il a constamment été confronté à son érosion, au gré des violences urbaines et des bavures.
Une situation identique à celle que vivent les États-Unis? Le spectacle tragique des derniers jours soulève la crainte de voir des scènes identiques dans l’Hexagone:
«Je ne sais pas si les situations sont comparables [entre les États-Unis et la France, ndlr]», nous dit Anouar, toujours pondéré, avant d’ajouter: «mais en tout cas, la vidéo [de la mort de George Floyd, ndlr] rappelle inéluctablement le cas de Cédric Chouviat.»
Le pire est-il à venir? «Ce qui manque peut-être, c’est le paramètre racialiste. Les revendications aux États-Unis sont plus structurées et le discours de violences à l’égard de la minorité noire est plus ancien», répond Anouar. Mais des signes avant-coureurs ne manquent pas: «on a des groupes de banlieue qui essaient de mettre le feu aux poudres de façon très visible.»
Peut-on calmer les esprits?
Reste à savoir comment calmer les esprits et prévenir le pire. Déjà, les polémiques ne rassurent guère. Bien qu’outrancières pour la plupart, les accusations laissent des traces. À l’image de celle lancée par l’actrice et chanteuse Camélia Jordana, qui avait déclaré, le 23 mai, «il y a des hommes et des femmes qui se font massacrer quotidiennement, en France tous les jours pour leur couleur de peau.» Évidemment, l’exécutif a tenté d’éteindre le départ de feu. Le 28 mai, Laurent Nuñez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, déclarait dans Libération: «le racisme n’a pas sa place dans la police.»
Bonne réaction du collègue, le coup de gaz opportun pour se laisser de l’espace et ne pas être débordé
— Matricule007 (@DeltaMike59) June 1, 2020
L’interpellé semble ne pas se laisser faire et l’environnement hostile
Rendez vous compte la complexité pour interpeller un homme à l’heure actuelle ... #ViolencesPolicieres pic.twitter.com/cZkPfIp8X5
Un vœu pieux? Le problème du racisme dans les forces de l’ordre n’est pas un fantasme, soutient Anouar. Il l’a trop vécu, et relaté dans son essai La France doit savoir (Éd. Plon, 2019) pour ne pas vouloir le combattre et souhaiter une police exemplaire. Et notre interlocuteur de nous raconter l’histoire de collègues mal intentionnés, qui l’ont un jour gratuitement accusé d’inventer des preuves et qui n’ont jamais été sanctionnés.
Les griefs s’accumulent contre les autorités
Des sanctions à géométrie variable, à en croire Anouar: si deux policiers ont été suspendus à la fin du mois d’avril pour des propos racistes lors d’une interpellation, elles seraient trop peu nombreuses: «il n’y a eu aucune suspension dans l’affaire de Cédric Chouviat.» Une contradiction avec la volonté affichée par les autorités:
«Il n’y a aucune remise en cause du comportement de certains policiers, qui dénote une absence de neutralité du préfet. Il pourrait très bien remettre en cause certains de ses éléments.»
En définitive, critiquée par les policiers qui se sentent abandonnés, la hiérarchie policière ne parvient pas non plus à parer les critiques extérieures. Les difficultés s’amoncellent pour les autorités et le problème ne semble pas seulement lié aux zones sensibles: en mars dernier, une étude Opinion Way faisait remarquer que 66% des Français faisaient confiance à la police. Un score qui ferait pâlir d’envie journalistes, banquiers ou patrons de grandes entreprises, mais qui est toutefois en baisse: en décembre 2018, selon le même institut, 74% des Français lui faisaient confiance.
De La Manif pour Tous au confinement en passant par les Gilets jaunes
Le tournant a-t-il eu lieu avec les Gilets jaunes? Là aussi, les sanctions auraient été trop rares selon Anouar, qui rappelle les 25 éborgnés et les deux ou trois décès dans des circonstances troubles: «c’est le moment depuis lequel la police est en roue libre», accuse-t-il, avant d’ajouter même, «susceptible de mentir.» En effet, «la population a perçu qu’elle pouvait être un ennemi.»
Sous François Hollande, la droite, pourtant peu encline à refuser l’autorité policière, avait déjà vécu un épisode prémonitoire lors de l’opposition au mariage homosexuel, où l’usage de la force contre des manifestants et leurs familles avait choqué certains observateurs: «pendant la Manif pour Tous, on autorisait des manifestations pour les réprimer.» Un stade dépassé avec les Gilets jaunes, dont les manifestations étaient bien souvent refusées:
«On fabriquait des arrêtés administratifs flous, basés sur des notes confidentielles de la Direction Régionale de la Préfecture de Police (DRPP). On réprimait des manifestations au prétexte qu’elles n’étaient pas déclarées.»
Mais depuis l’hiver 2019, la situation ne s’est pas arrangée. Pour Anouar, la crise du Covid-19 a exacerbé la tension entre la police et la population:
«L’État a montré qu’il pouvait mobiliser un hélicoptère pour verbaliser des promeneurs sur une plage, mais qu’il était incapable de répondre à un habitant excédé qui dénonce un trafic de stup’ dans son hall d’immeuble. La police répond qu’il n’y a pas d’équipage disponible, que l’attente est de deux heures. Quelque chose ne tient plus.»
Pour sauver la situation, «il faut faire machine arrière»
Les discours ne suffisent plus à Noam Anouar. «Il faut réparer les erreurs commises sous Sarkozy et Hollande», tranche-t-il: à commencer par un retour à police de proximité –une «évidence» –, selon lui. Mais, plus encore:
«Il faut dissoudre l’IGPN au profit d’une institution extérieure à la police. On ne peut pas laisser le contrôle de la police à la police», soutient Noam Anouar.