Élection du général Évariste Ndayishimiye au Burundi: entre lueur d’espoir et changement dans la continuité

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Depuis le 25 mai 2020, le général Évariste Ndayishimiye est le nouvel homme fort du Burundi. Si l’élection de ce haut cadre du parti au pouvoir n’a pas surpris grand monde dans le pays, il n’en demeure pas moins qu’elle suscite autant d’appréhensions qu’une petite lueur d’espoir. Analyse pour Sputnik du chercheur et journaliste Patrick Mbeko.

C’est sans grande surprise que la Commission électorale nationale indépendante du Burundi (CENI) a déclaré le général Évariste Ndayishimiye, 52 ans, vainqueur de l’élection présidentielle du 20 mai dernier, avec 68,72% des suffrages. Après avoir évolué pendant une dizaine d’années dans l’ombre du président sortant Pierre Nkurunziza, c’est à lui que revient désormais la tâche de présider pendant les sept années à venir à la destinée des

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Burundaises et des Burundais. Les défis sont énormes. Issu du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir, dont le bilan en matière socio-économique, politique et des droits de l’homme laisse à désirer, Évariste Ndayishimiye aura la lourde mission de redresser un pays, qui est non seulement en crise mais reste également assez divisé.

De la forêt de la Kibira à la Ntare Rushatsi House 

Évariste Ndayishimiye était étudiant à l’université du Burundi lorsque la guerre civile éclate en octobre 1993, suite à la mort du président Melchior Ndadaye, un Hutu, tué par les extrémistes tutsis qui dominaient à l’époque l’armée burundaise. En 1995, il échappe de justesse à un nettoyage ethnique des étudiants hutus mené par des étudiants extrémistes tutsis à l’Université de Burundi. Cet évènement le convainc de rejoindre l’opposition armée des Forces de défense de la démocratie (FDD), qui a vu le jour après l’assassinat du président Ndadaye. Ndayishimiye gravit rapidement les échelons pour devenir l’un des principaux chefs militaires du mouvement qui s’est installé dans la forêt de la Kibira.

Grâce à la médiation de Nelson Mandela, les belligérants de la guerre civile burundaise s’engagent, non sans difficulté, à taire les armes. Les accords d’Arusha signés en 2000 et auxquels les FDD ne souscriront qu’en octobre 2003, établissent un savant équilibre politico-ethnique entre la majorité hutue qui forme environ 80 % de la population et la minorité tutsie. Principal négociateur des FDD — qui va par la suite se transformer en parti politique CNDD-FDD — lors de la signature du cessez-le-feu, Évariste Ndayishimiye occupe plusieurs postes de haut niveau au sein du gouvernement burundais, s’affirmant, aux yeux plusieurs observateurs, comme un homme de consensus. En août 2016, il est élu secrétaire général du CNDD-FDD et, contre toute attente, l’establishment du parti le désigne en janvier 2020 candidat CNDD-FDD aux élections présidentielles. Élections qu’il a remportées, selon la CENI, mais que l’opposition burundaise n’a cessé de dénoncer en raison, dit-elle, des irrégularités qui l’ont caractérisées...

Redresser un pays terriblement en crise

Affirmer que le général Évariste Ndayishimiye hérite d’un pays au bord d’une crise socio-politique et économique majeure est un euphémisme. Depuis le printemps 2015, époque où le président sortant Pierre Nkurunziza avait décidé de briguer un troisième mandat, « en violation des accords d’Arusha et de la Constitution de 2005 » selon ses détracteurs, le pays vit au rythme de crises à répétition. La tentative de putsch manqué de mai 2015 a étalé au grand jour les dissensions et les ressentiments qui traversent le camp du pouvoir, notamment l’appareil sécuritaire et l’armée.

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Les cinq dernières années du régime Nkurunziza ont été caractérisées par de sérieuses convulsions socio- économiques et politiques. Des milliers de Burundais, y compris des gens réputés être proches du camp présidentiel, ont pris le chemin de l’exil pour échapper à la violence du régime, qui n’a pas hésité à réprimer ses détracteurs. Daniel Kabuto, qui a évolué au cœur du système Nkurunziza avant de prendre ses distances, explique à l’auteur de ces lignes

«Il y a eu beaucoup de malversations, de corruption et de départs en exil. Beaucoup des gens ont été limogés, d’autres sont partis parce qu’ils ne supportaient pas la gestion du pays par le régime. Au lieu de s’attaquer au problème, celui-ci a passé son temps à accuser tous ceux qui le critiquaient d’être des suppôts de l’Occident, et le problème n’a pas été réglé...»

En septembre 2019, c’est l’épiscopat burundais qui s’en est mêlé en critiquant sévèrement la gestion de l’État par le pouvoir. Selon le rapport de la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi paru à la même période, le régime s’est rendu coupable des graves violations des droits de l’Homme. Celles-ci comprennent « des exécutions sommaires, des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, des violences sexuelles et des disparitions forcées. »

La crise socio-politique a eu d’importantes conséquences sur l’économie burundaise, qui fait depuis 2016 l’objet de sanctions de l’Union européenne (UE), premier donateur du pays.

C’est donc dans un contexte de crise multiforme que le général Évariste Ndayishimiye devra prouver de quoi il est capable pour sortir le Burundi de sa calamiteuse situation. Pour cela, il n’aura d’autre choix que d’adopter une posture et une approche qui tranchent avec le modèle de gouvernance de son prédécesseur. Mais certains observateurs burundais doutent qu’il en soit capable en raison de la nature du système dans lequel il évolue...

Attention au syndrome João Lourenço!

Au Burundi, même si le parti au pouvoir catalyse la colère d’une partie de la population et de l’opposition politique, il n’en demeure pas moins que l’arrivée au pouvoir du général Évariste Ndayishimiye suscite une petite lueur d’espoir dans le pays. Sans nécessairement voir en cela le signe d’une nouvelle ère dans la gestion de l’État, un certain nombre de Burundais préfère tout de même croire au miracle.

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Tout le monde au Burundi, y compris les farouches détracteurs du CNDD-FDD, les opposants ainsi que les membres de la société civile en exil, s’accorde à dire que le nouveau président «a les mains propres». Il n’a jamais été cité dans les affaires de violations des droits de l’homme, de crimes et de malversations. Aux yeux des Burundais, cela pèse beaucoup dans la balance. «Rien à voir avec Nkurunziza et ses sbires», a confié une source burundaise à l’auteur de ces lignes.

D’ailleurs, Ndayishimiye n’était pas le préféré du président sortant, qui avait jeté son dévolu sur le président de l’Assemblée nationale Pascal Nyabenda, avant de céder à la pression d’un groupe de généraux qui ne voulaient pas d’un civil à la tête du pays. Ce sont ces derniers qui ont imposé leur frère d’armes au président Nkurunziza.

Même s’ils sont assez nombreux à accorder le bénéfice de la bonne foi au nouveau locataire de la Ntare Rushatsi House, la plupart des Burundais et d’observateurs estiment qu’il aura du mal à se défaire de la «tutelle» des généraux, et par-dessus tout du système duquel il est issu. Peut-être.

Mais Évariste Ndayishimiye pourrait aussi surprendre à la manière d’un João Lourenço, l’actuel président angolais dont le parcours semble assez similaire de celui du dirigeant burundais.

Pur produit du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), le parti au pouvoir en Angola depuis 1975, le général João Lourenço, qui a été propulsé à la tête du pays en 2017, n’a pas hésité à bousculer l’ordre établi en s’attaquant à la famille de son prédécesseur, le président Edouardo Dos Santos, qui a tenu l’Angola pendant 38 ans et dont il a été le ministre de la Défense. Qui l’aurait cru?

Les voies de la politique en Afrique centrale étant parfois insondables, il se pourrait que le cas Lourenço fasse des émules au Burundi. Qui sait?

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