RDC: un mois après la tragédie du parc des Virunga, le mystère reste entier

© AFP 2024 ALEXIS HUGUETLe parc national des Virunga, au nord-ouest de la RDC.
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La mort de quatre civils et d’une douzaine de gardes du parc national des Virunga, en République démocratique du Congo, dans une attaque attribuée aux rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda, ravive le débat sur la présence des troupes rwandaises en sol congolais. Décryptage pour Sputnik du chercheur et journaliste Patrick Mbeko.

Le parc national des Virunga connaît un regain de violence sans précédent. Le 24 avril dernier, une attaque attribuée aux rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) a fait seize victimes: 12 écogardes du parc et quatre civils. Aussi bien du côté rwandais que des FDLR, on se rejette la balle sur la mort des rangers et des civils congolais. Que s’est-il réellement passé?

Une région hautement instable

L’est de la République démocratique du Congo (RDC), notamment la région du Grand-Kivu, est connu aussi bien pour ses plaines de lave et ses collines verdoyantes que pour les minerais stratégiques rares tels que le niobium, le coltan ou encore la cassitérite dont regorge son sous-sol. C’est également une région qui a la triste réputation d’avoir «abrité» les conflits armés successifs auxquels le pays a été confronté ces dernières années. Près de quinze années après la fin officielle de la guerre et six ans après la défaite du dernier groupe rebelle majeur, en l’occurrence le M23, soutenu par le Rwanda, la région a retrouvé une relative accalmie.

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Mais il n’empêche que plus d’une centaine de factions armées prolifèrent dans le Grand-Kivu. Les plus connus sont sans aucun doute les ADF ougandais et surtout les FDLR rwandais, accusés d’avoir participé au génocide de 1994 au Rwanda. Depuis ce tragique événement, ces derniers sont en conflit ouvert avec le régime de Kigali, qui les accuse constamment de vouloir déstabiliser le Rwanda à partir de la RDC.

La présence des FDLR au Congo a longtemps constitué un objet de discorde entre le Rwanda et la RDC. Mais depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi à la tête du Congo, Kigali et Kinshasa ont décidé de mettre de côté leurs divergences et ont considérablement renforcé leur coopération dans le domaine sécuritaire. Objectif: mettre fin aux activités des groupes armés à l’est de la RDC, à commencer par... les FDLR.

Selon les autorités rwandaises et les responsables du parc national des Virunga, les rebelles hutus seraient à l’origine de l’embuscade qui a coûté la vie, il y a trois semaines, aux gardes du parc et à quatre civils. Une accusation que rejettent les FDLR, qui nient toute implication dans cet incident, condamnant sans réserve «cette attaque ignoble». Dans leur communiqué, elles affirment que «le territoire de Rutshuru où a eu lieu l’attaque est actuellement sous contrôle des militaires rwandais»...

Conflit de basse intensité au Kivu

Ce n’est pas la première fois que les autorités rwandaises et les FDLR se rejettent la responsabilité des tueries dans l’est congolais. Mais ce qui est particulier dans l’affaire qui nous concerne, c’est la rumeur d’une probable implication des Forces de défense rwandaises (RDF) dans l’embuscade qui a coûté la vie aux rangers et civils congolais.

Depuis quelques mois, des informations persistantes font état de la présence des troupes rwandaises dans le Kivu. Si à Kinshasa et à Kigali, on nie fermement, au Kivu même on parle «de secret de polichinelle le mieux gardé», pour reprendre l’expression d’un membre de la société civile.

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Ces derniers mois, les Forces armées congolaises (FARDC) et les RDF ont mené plusieurs opérations conjointes dans le Kivu dans le but d’éradiquer les «forces négatives», dont les FDLR, mais aussi et surtout le Rwanda National Congress (RNC) du général Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état-major de l’armée rwandaise en rupture avec Kigali. Cet officier qui, selon plusieurs sources, reste très influent au sein de l’armée rwandaise, est considéré comme l’homme à abattre à Kigali. Il a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat depuis son exil sud-africain, ce qui a provoqué un froid diplomatique entre Pretoria et Kigali.

Le général Kayumba Nyamwasa bénéficie du soutien de l’Ouganda, dont les relations avec le Rwanda sont très tendues. Les deux pays s’accusent mutuellement de tentative de déstabilisation...

Depuis 2018, on signale la présence des hommes de Kayumba à l’est de la RDC. Ce qui justifierait la présence active de l’armée rwandaise dans la région. Kigali craindrait que le RNC du général Kayumba, qui bénéficie déjà du soutien ougandais, ne scelle une alliance avec les FDLR, quand bien même la force de frappe du groupe rebelle hutu reste marginale. Depuis juin 2019, l’armée congolaise, épaulée secrètement par les RDF, intensifie ses opérations dans le Kivu pour neutraliser les deux factions militaires. Plusieurs membres du RNC et des FDLR ont été arrêtés et tués, dont le commandant suprême des rebelles hutus Sylvestre Mudacumura. En réaction, les FDLR ont juré de se venger en ciblant les officiers des FARDC qui participent à leur traque aux côtés des RDF.

Dommage collatéral ou false flag?

Selon des sources diplomatiques et locales citées par le Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), l’attaque du parc national des Virunga aurait été menée par les FDLR, lesquelles auraient visé un haut gradé des FARDC, le colonel Claude Rusimbi, commandant adjoint chargé des opérations et renseignement du 3409e régiment. Ce dernier fait partie des officiers préposés à la coordination, avec les RDF, de la traque des groupes armés à l’est du Congo.

D’après les sources citées par KST, les FDLR auraient reçu l’information selon laquelle le colonel Rusimbi devait emprunter la route qui va de Goma à Rutshuru le matin de l’embuscade. Il est possible que les rebelles hutus aient pris les gardes du parc des Virunga pour son escorte. Une erreur sur la cible. Les rangers et civils congolais tués seraient donc les dommages collatéraux d’un conflit à bas bruit opposant les FDLR aux FARDC soutenues par les RDF.

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Cependant, une source militaire locale contactée par l’auteur de ces lignes et ayant requis l’anonymat émet de sérieux doutes sur cette hypothèse. Elle y voit plutôt une manipulation destinée à jeter le blâme sur les FDLR pour des raisons politico-stratégiques et militaires. Convoquant le dicton selon lequel «qui veut noyer son chien l’accuse de rage», cette source affirme:

«Les FDLR ne sont pas assez folles pour attaquer des rangers congolais à proximité d’une base militaire [celle de Rumangabo, ndlr]. C’est aux autorités de Kinshasa et de Kigali de dire la vérité à l’opinion publique.»

La mort des rangers congolais relèverait-elle d’une «false flag» (opération sous fausse bannière) destinée à jeter le blâme sur les ennemis jurés de Kigali basés dans le Kivu?

La question reste posée...

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