Moins d’un mois après qu’une ONG, Human Rights Watch, a dénoncé les exécutions arbitraires de 31 personnes, appartenant toutes à la communauté peule, commises par les forces de défense burkinabè dans la ville de Djibo, un autre drame, susceptible de constituer un nouveau crime de guerre, est survenu.
«Froid dans le dos»
Les faits se sont déroulés les 11 et 12 mai derniers dans une commune proche de la localité de Tanwalbougou, située dans l’est du Burkina Faso. Selon le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), vingt-cinq personnes, âgées de 20 à 70 ans, ont été arrêtées devant la mosquée par des gendarmes de Tanwalbougou accompagnés des jeunes Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), supplétifs civils de l’armée. La plupart de ces individus auraient été torturés et certains auraient été tués d’une balle dans la tête le même jour. À la date du 26 mai, douze corps ont été retrouvés.
Parmi ces victimes se trouve un parent du député-maire de la commune de Dori, Aziz Diallo, qui a déclaré devant l’Assemblée nationale.
«Je tiens à préciser que les douze victimes de Tanwalbougou n’ont pas été arrêtées dans une opération antiterroriste –parmi elles figure un de mes cousins, qui a fui le terrorisme pour aller se réfugier avec sa famille à Fada [Est] et qui a été exécuté. J’étais à la morgue avec le procureur et des agents de l’hôpital et nous avons vu qu’il a été exécuté d’une balle dans la tête. Il n’y a eu aucune identification des victimes. Ça fait froid dans le dos, cela fait des jours que nous n’arrivons pas à dormir parce que l’on ne peut pas s’imaginer qu’en 2020, nous vivions encore ce genre de situation», a déclaré l’édile.
Ces événements tombent au plus mauvais moment pour le gouvernement burkinabè et son ministre de la Défense, Cherif Sy. Comme dans de nombreux pays d’Afrique francophone, les institutions sont calquées sur celles de l’ancien colonisateur, le corps de gendarmerie est placé sous l’autorité de la Défense. En effet, depuis plusieurs semaines les exactions commises envers les populations civiles par les armées de certains pays du G5 Sahel font l’objet d’une attention toute particulière.
Avertissements
Le 20 avril, Human Rights Watch dénonçait les événements de Djibo. Dix jours plus tard, la mission des Nations unies au Mali (Minusma) diffusait une note sévère envers les forces de défense et de sécurité malienne. Dans ce document repris par toute la presse nationale et internationale, la Minusma les accusait d’avoir commis 101 exécutions extrajudiciaires au cours des seuls trois premiers mois de l’année.
Au passage, l’ONU tapait également sur les doigts de l’armée nigérienne pour avoir exécuté une trentaine de personnes dans la région de Ménaka. Le 4 mai, c’est le Haut-comité pour les réfugiés (HCR) qui condamnait l’armée burkinabè pour violence à l’encontre de réfugiés du camp de Mentao. Le 20 mai, Acled, une ONG peu connue du grand public, mais suivie par un grand nombre d’institutions, spécialisée dans l’analyse de données et qui reçoit, entre autres, des financements du département d’État, des ministères des Affaires étrangères allemand et néerlandais, publiait une étude cinglante: «Les données d’ACLED montrent que les abus des forces gouvernementales sont inhérents à la dynamique des conflits qui prévaut dans le centre du Sahel, et ces acteurs commettent régulièrement des atrocités en toute impunité. Des informations faisant état de telles violences émanent désormais simultanément des trois pays du G5-Sahel confrontés à l'insurrection sous-régionale et il est de plus en plus clair qu'ils ne peuvent plus être ignorés.»
Les morts ne se taisent pas
Ces faits ne sont pourtant pas nouveaux. Sans remonter à des temps très anciens, il suffit de se reporter aux données publiées par la Minusma qui prennent en compte la période de janvier 2016 à juin 2017. Ces chiffres indiquent que presque la moitié des cas de violation et abus des droits de l’Homme envers les civils, qui comprennent les exécutions extrajudiciaires, les arrestations, les disparitions forcées, qui ont eu lieu au Mali pendant cette période, ont été commises par les forces maliennes (tous corps confondus). La majorité des autres exactions a été perpétrée soit par les factions armées signataires de l’Accord d’Alger, soit par les groupes terroristes.
Ces proportions sont à comparer avec les derniers chiffres divulgués qui, certes, ne concernent que le premier trimestre de l’année 2020, mais ils correspondent à ce que les observateurs constatent depuis de nombreux mois. Les forces maliennes sont responsables d’un peu plus d’un tiers des violations du droit international humanitaire. Elles sont largement dépassées par les milices communautaires, dont les exactions ont connu une augmentation exponentielle au cours de l’année 2019 et en ce début 2020. Les crimes de la part des factions armés signataires de l’Accord d’Alger ont, eux, fortement régressé. Quant aux groupes terroristes, tous confondus, et il ne s’agit pas ici de minorer leur capacité de nuisance ni leurs responsabilités dans la situation dramatique que vit toute la bande sahélo-saharienne, ils commettent statistiquement moins d’exactions. La raison en est simple: ils ne veulent pas s’aliéner les populations pour pouvoir s’implanter dans les zones et recruter des civils. Ils s’en prennent donc principalement aux militaires et aux symboles de l’État.
Si les exactions des armées nationales ne sont pas nouvelles, il est clair que la montée en puissance des milices a incontestablement et considérablement augmenté le niveau de violence. D’autant qu’il n’est pas rare de constater que ces milices, Koglweogos, alliées aux VDP au Burkina Faso ou Dan Na Ambassagou au Mali, et armées nationales œuvrent ensemble. Les exemples où toutes ces forces se rejoignent sur le théâtre d’événements dramatiques sont nombreux: Barga, Tanwalbougou, Ogossagou, ou plus à récemment à Débéré au Mali, où des militaires maliens ont été vus accompagnés de Dozos en train de voler du bétail, pour ne citer que ceux-là.
Un grand gâchis
Ces faits éclairent d’une lumière crue la situation chaotique qui prévaut dans le Sahel et il faut comprendre le nombre et la simultanéité des parutions qui incriminent les gouvernements à travers le comportement de leurs armées comme un signal fort.
Tout ceci, néanmoins, ne devrait pas faire oublier que les armées nationales payent aussi un lourd tribut à la lutte antiterroriste et ce n’est pas sans un certain malaise que la plume se porte dans la plaie. D’autant que la débandade des militaires ne devrait pas être mise sur leur seul compte, c’est un échec collectif, celui des États concernés d’abord, celui des «partenaires» extérieurs ensuite.
L’Union européenne dépense des centaines de millions dans des formations en tout genre, notamment au Mali avec EUTM où depuis quatre ans, elle dispense des cours de droit international humanitaire aux corps habillés. La France ensuite qui, depuis les indépendances, aide à la structuration de ces armées et qui a basé toute sa stratégie dans le Sahel sur la montée en puissance de celles-ci. La Minusma enfin, qui s’avère toujours incapable de protéger les populations civiles, quel que soit leur agresseur. Tous ces milliards déversés dans le sable...