Son silence face à la furie de la pandémie mondiale avait alimenté toutes les controverses et même fait circuler des rumeurs vite démenties au sujet de son décès. Malgré de multiples pressions, Paul Biya, qui est longtemps resté muet, a enfin brisé le silence, mardi 19 mai dans un discours télévisé. Une première sortie médiatique depuis l’apparition des premiers cas de Covid-19 en mars dernier au Cameroun.
Alors que dans le pays, la lutte contre la pandémie s’est déportée sur le champ juridico-politique, donnant lieu à toutes sortes de récupérations, Paul Biya a rappelé la nécessité de «mettre de côté des querelles politiciennes et de présenter un front commun» contre la maladie. Tout en réitérant l’indispensable union sacrée et l’observance des «gestes barrières» visant à limiter la propagation de la pandémie, Paul Biya demande aux «Camerounais de faire confiance aux pouvoirs publics» car, dit-il, le gouvernement est «pleinement conscient de la gravité de la situation et est prêt à prendre toutes les mesures nécessaires».
Une déclaration tardive?
Cette déclaration de Paul Biya intervient au moment où le Cameroun enregistre déjà plus de 4.000 cas testés positifs au Covid-19, pour plus de 150 décès. Alors que la pandémie faisait son chemin dans le pays, des voix s’étaient élevées dans l’opposition pour décrier le silence du Président du Cameroun.
Au lendemain de son discours, pour nombre d’opposants comme Frank Essi, secrétaire général du Cameroon people’s party (CPP), «ce discours avait un problème de timing».
«Il aurait été approprié en début de crise. À ce stade, les attentes sont au niveau des compléments à la réponse des mesures sanitaires ainsi que des mesures sociales et économiques pour faire face à la crise économique qui s’annonce», commente-t-il à Sputnik.
Il précise que Paul Biya «s’est contenté de faire une synthèse des mesures actuellement mises en œuvre par son gouvernement sans donner un écho aux insuffisances criantes observées et autres interpellations faites sur les manquements divers sur le terrain».
Sur le timing, Aristide Mono, politologue, pense également que du point de vue de la communication de crise, «ce tout premier discours du Président camerounais arrive un peu en retard».
«Nous sommes à plus de deux mois de cohabitation chaotique avec cette pandémie, le chef de l’État aurait dû s’adresser depuis longtemps à la nation, comme la plupart de ses homologues du monde, dont les pays sont harcelés par la menace épidémiologique», analyse l’expert à Sputnik.
Cependant, poursuit le politologue, la déclaration du Président camerounais à la veille de la célébration de la 48e édition de la fête nationale revêt un caractère symbolique, car considère-t-il, «il renferme la capacité unificatrice et mobilisatrice de la nation du moment où Paul Biya, dans sa tonalité solennelle, s’offre à son peuple comme le chef de guerre. Symbole de l’unité du pays, il se doit d’activer son aura pour susciter l’adhésion des populations et capter le maximum de soutien».
Cette symbolique de l’unité pour une union sacrée autour du combat contre la pandémie sera-t-elle entendue? Au Cameroun, l’épidémie de coronavirus est l’occasion d’une nouvelle passe d’armes entre Yaoundé et l’opposant Maurice Kamto. Ce dernier, jugeant insuffisantes les mesures gouvernementales, avait initié des actions parallèles. Outre l’appel à la convergence des forces de la nation face à cet ennemi commun, Paul Biya, dans son discours, n’a pas manqué de lancer des piques contre son adversaire politique.
«Dans le combat qui est le nôtre aujourd’hui, le gouvernement s’emploiera à poursuivre la lutte contre toute instrumentalisation ou exploitation politique, économique ou sociale de cette tragédie», a-t-il mentionné comme pour soutenir l’action de son gouvernement employé depuis peu dans un combat contre les initiatives de l’opposition.
À 87 ans, le Président camerounais, au pouvoir depuis 1982, tient le gouvernail d’un État déchiré par de violentes crises dont la plus meurtrière est le conflit séparatiste dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Alors que le pays célèbre sa fête nationale, son unité est plus que jamais mise à rude épreuve.