Le Premier ministre Édouard Philippe, dans son allocution du 28 avril 2020 à l’Assemblée nationale, a fustigé celles et ceux qui accordent bien trop d’importance aux remugles flottant sur les sites d’expression en ligne.
«Inutile d'en dire beaucoup sur une conviction que nous partageons tous: en ces temps de démocratie médiatique, de réseaux pas très sociaux, mais très colériques, d'immédiateté nerveuse, il est sans aucun doute utile de rappeler que les représentants du peuple siègent, délibèrent et se prononcent sur toutes les questions d'intérêt national.»
Une diatribe placée en fin de texte. La position est loin d’être anodine car susceptible d’être l’émanation du locuteur plus que du chef de cabinet ou du responsable de la communication de Matignon: la petite touche personnelle d’un discours formaté.
Maîtriser les réseaux
Sur le fond, deux réflexions à froid s’imposent. La première est qu’il est bien heureux pour de nombreuses personnes d’avoir eu la possibilité d’échanger par l’entremise de réseaux sociaux en pleine période de confinement. Combien d’effondrements psychologiques ont pu être évités grâce à ces plates-formes en conservant un minimum de lien social? Fût-ce en châtiant virtuellement la classe politique, et prioritairement certains personnages de premier plan…
Or, troublante coïncidence, il se trouve que la loi contre les contenus haineux sur Internet –dite loi Avia du nom de la députée rapporteuse– est dans les tuyaux de l’ingénierie parlementaire (l’examen a été cependant retardé par l’épidémie de Covid-19), laquelle répond justement à une volonté de mieux maîtriser ces réseaux. Une fois sa promulgation actée, cette disposition législative consacrera un transfert de souveraineté numérique au profit des puissantes sociétés d’intermédiation –très majoritairement américaines–, trop heureuses de rendre service en contrepartie d’un adoubement par le pouvoir étatique.
Une sous-traitance du contrôle informationnel
Seulement, peut-on naïvement engager une sous-traitance dans le domaine du contrôle informationnel par des sociétés commerciales de droit étranger dont la collecte et le traitement des données n’ont plus de secret? A fortiori lorsque ces entités seront juge et partie dans le processus de retrait des contenus manifestement –l’adverbe usité autorisant par son imprécision un large champ d’application– illégaux dans les 24 heures?
Ainsi, toujours selon le Premier ministre:
«Les députés ne commentent pas. Ils votent. Et ce faisant, ils prennent des positions politiques.»
Et c’est là le nœud gordien de la question: le chef du gouvernement déplace le problème des réseaux sociaux vers la procédure du vote dans des hémicycles. Des lieux souvent peu remplis et constitués de représentants n’ayant qu’une connaissance limitée du dossier sur lequel ils sont conviés à voter –un document parmi tant d’autres, assorti d’un temps d’étude toujours plus réduit, généralement insuffisant pour effectuer des recherches approfondies. Cette confiance accordée par l’exécutif est d’autant plus cynique que les parlements sont mimétiquement affiliés à la majorité gouvernementale dans les démocraties occidentales, d’où un moindre risque de contestation.
Ferons-nous mentir le penseur et constitutionnaliste américain Samuel Adams lorsqu’il déclarait:
«Rappelez-vous, la démocratie ne dure jamais longtemps. Elle gaspille, s'épuise et se meurt. Il n'y a jamais eu une démocratie qui ne se soit suicidée.»