En Côte d’Ivoire, les armes en circulation échappent, pour l’essentiel, à tout contrôle des autorités. Selon Victorien N’Tayé, secrétaire général de la section ivoirienne du Réseau d'action sur les armes légères en Afrique de l'Ouest (Rasalao-CI), «personne n’est véritablement en mesure de les quantifier».
Toutefois, dans un rapport publié en 2017, le Small Arms Survey –un projet de recherche indépendant basé à Genève– a évalué le nombre d’armes à feu détenues par les civils ivoiriens à un peu plus d’un million, dont seulement 2.500 détenues légalement. Ces chiffres placent la Côte d’Ivoire à la troisième position en Afrique de l’Ouest derrière le Nigeria (6.154.000) et le Ghana (2.280.000).
Pour ce qui le concerne, Victorien N’Tayé estime que les données du Small Arms Survey recouvrent les armes légères et de petit calibre (ALPC).
«Aujourd'hui, on ne parle plus d’armes à feu, mais de deux types d’armes: celles de petit calibre et les armes légères. Les premières sont portatives et à usage personnel, c’est le cas des pistolets automatiques, des fusils de calibre 12, des kalashnikovs ou encore des lance-roquettes). Les secondes, quant à elles, sont également portatives mais leur usage nécessite un travail d'équipe, c’est le cas des mitrailleuses lourdes montées sur véhicule», a-t-il précisé.
La provenance des armes légères et de petit calibre
Le secrétaire général du Rasalao-CI explique la prolifération des ALPC en Côte d’Ivoire en grande partie par la crise militaro-politique des années 2000 au cours de laquelle presque toutes les localités du pays ont connu une circulation d’armes.
Entre 2012 et 2015, une opération de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) des anciens combattants de grande ampleur s’est déroulée dans le pays. Bien qu’elle ait permis de collecter 37.942 armements, constituant ainsi une référence au niveau des Nations unies, pour nombre d’observateurs, elle a eu des résultats controversés.
«Si certains trouvent ces résultats mitigés, c’est parce qu’on a entendu dire que des miliciens ou encore des proches d’anciens combattants n’ont pas tous été pris en compte par l’opération. Vous savez, dans une démarche pareille, ce sont des choses qui peuvent arriver, on ne peut pas obtenir 100% des résultats escomptés», a encore expliqué Victorien N’Tayé.
En outre, la série de mutineries d'ex-rebelles intégrés à l'armée observée en 2017 a mis en lumière des failles du DDR. D’anciens combattants démobilisés ont, à leur tour, manifesté pour réclamer des récompenses. Ces démobilisés constituent, selon le secrétaire général du Rasalao-CI, «des résiduels du DDR qui pourraient posséder des armes».
L’existence de fabricants d’armes locaux constitue la deuxième raison avancée par Victorien N’Tayé pour expliquer la prolifération des ALPC.
«Ces fabricants n’étant pas répertoriés par les autorités ivoiriennes, la totalité de leur production tombe dans les mains des civils qui n’en ont bien souvent pas l’autorisation légale. Traditionnellement dans les communautés, les armes produites –généralement de calibre 12– sont utilisées pour protéger les plantations des rongeurs ou pour la chasse», a-t-il déclaré.
Il arrive également que des paysans ivoiriens se procurent des armes artisanales auprès de producteurs ghanéens, réputés pour fabriquer un arsenal de bonne qualité et en grande quantité.
La menace des ALPC
Pour Victorien N’Tayé, le danger immédiat de toutes ces armes présentes sur le territoire ivoirien est l’insécurité généralisée qu’elles engendrent:
«Ces dernières années par exemple, dans les conflits communautaires, les populations n’ont pas hésité à recourir aux armes à la moindre occasion. Et si les conflits communautaires tendent à se multiplier, c’est parce que le processus de réconciliation initié après la crise postélectorale de 2010-2011 est resté inachevé et ne fait plus partie des priorités du gouvernement», a-t-il déclaré.
Par ailleurs, la grande quantité d’armes en circulation pourrait constituer un facteur de risque alors que le pays n’est pas à l’abri de la menace terroriste.
Le 13 mars 2016, une attaque menée par des hommes armés avait fait 19 morts, de nationalité ivoirienne, française, libanaise, nigériane, allemande et macédonienne, à Grand-Bassam, une ville balnéaire réputée, située à 40 km au sud-est d'Abidjan. Cet attentat, le premier du genre sur le sol ivoirien, a été revendiqué le jour même par Al-Qaïda au Maghreb islamique*.
La présidentielle d’octobre et le spectre d’un nouveau conflit armé
Les tensions politiques qui ont considérablement gagné en intensité ces derniers mois font craindre aux Ivoiriens, à la faveur de la présidentielle d’octobre, de nouvelles violences armées similaires à celles de 2010-2011, qui ont officiellement occasionné plus de 3.000 morts.
Pour Victorien N’Tayé, les armes ne sont qu’un facteur aggravant. Le problème se situe plutôt au niveau d’une situation politico-sociale délétère. Elle se manifeste dans certaines polarisations et alliances politiques qui sont en train de se former à l’approche de l’élection, ainsi qu’au regard des poursuites judiciaires controversées qui se sont multipliées dernièrement.
«Voici que Guillaume Soro, celui-là même qui a dirigé pendant près d’une décennie des combattants dont certains ont occupé de hautes fonctions dans l’appareil sécuritaire de la Côte d’Ivoire, vient d’être condamné à 20 ans de prison. Peut-on être sûr que ses collaborateurs ne vont pas se rebeller de nouveau? C’est peut-être vers là que nous tendons. Vu la prolifération et la circulation des armes, la fin justifiant les moyens, les uns et les autres peuvent à tout moment s’en servir pour en découdre», a-t-il prévenu.
En 2016, une enquête de l’ONU avait révélé que Guillaume Soro, ex-chef de la rébellion armée de 2002-2011, détiendrait dans le pays plus de 300 tonnes d’armes échappant au stock légal de l’armée.
*Organisation terroriste interdite en Russie.