Dans le cas de la pandémie de Covid-19 qui frappe 177 États et territoires, le vote électronique est désormais promu comme moyen de faire perdurer le rituel des élections avec un risque zéro sur le plan sanitaire. Un nouvel éclairage sur un très vieux débat, qui n’a toujours pas été tranché en dépit des qualités attendues du vote électronique, mais aussi en raison des sérieuses interrogations qu’il suscite.
Sur le plan des bénéfices, citons pêle-mêle: la facilité, puisque le vote électronique ne nécessite pas de se déplacer (hors cas de machines à voter électroniques); l’application d’une procédure d’authentification raccourcie et sécurisée (grâce à une reconnaissance biométrique par exemple); la délivrance de résultats de façon très rapide (par un décompte automatisé); la capacité de programmer des pondérations complexes (dans les cas où s’impose la répartition de sièges selon des seuils et calculs spécifiques); l’attrait renforcé pour des générations plus accoutumées au digital (contribuant peut-être à résorber ainsi le fort absentéisme dans la tranche d’âge des 18-29 ans); la simplification de la mise en place des séances de vote (nécessitant traditionnellement une logistique spécifique avec salle et personnel).
Vote électronique: hygiène de la démocratie?
Les critiques, quant à elles, ne sont pas moins nombreuses: l’affaiblissement de la solennité du vote (la dématérialisation rabaisse le processus électoral à un vulgaire jeu en ligne); le risque de failles de sécurité sur les serveurs où sont stockées les données; la possibilité de fraude électorale (par l’utilisation de faux identifiants); le manque de visibilité quant aux algorithmes régissant le vote (en amont avec la réception du vote et en aval avec leur traitement); la fracture numérique (avec les votants peu rompus aux pratiques de l’informatique).
Le vote électronique est déjà en cours, ou l’a été, dans plusieurs pays de par le monde, avec des fortunes diverses. Il est par exemple commun de voter à distance en Estonie (qui se nomme elle-même E-Stonie, jeu de mots signifiant «Électronique Estonie»). Les États-Unis expérimentent le vote électronique et les machines à voter électroniques depuis de nombreuses années, à commencer par le personnel militaire en opérations extérieures et même pour les astronautes depuis 1997.
En Angleterre, plusieurs expérimentations furent autorisées dans les années 2000, sans avoir pour autant été pérennisées. Plusieurs cantons suisses proposent cette possibilité depuis 2004 en attendant que le conseil fédéral statue sur sa généralisation, dans une décision attendue fin 2020. La France l’a testé pour ses élections locales et nationales sous ses deux formes avant d’en stopper l’élan en 2008, puis 2017, et ce alors que le Sénat réclame sa réintroduction sous l’égide de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) au sein d’un rapport publié en octobre 2018.
Vote électronique: coronavirus contre virus informatiques
Deux écueils majeurs empêchent le déploiement du vote électronique à grande échelle: le premier est la sécurisation du vote (l’assurance qu’il soit comptabilisé, puis qu’il ne soit pas détourné); le second est la garantie de l’anonymat du vote (la corrélation entre celui qui a voté et la teneur de son vote est très aisée). C’est par conséquent moins une limitation technique qu’une assurance sur l’intégrité procédurale qui freine son implantation dans le paysage démocratique, ce que des experts américains ont nommé le Black Box Voting (ou vote dans une boîte noire) pour désigner l’opacité entourant le fonctionnement et le traitement du vote.
Vote électronique, une prophylaxie, pas un remède aux maux de la démocratie
Il ne faudrait pas se méprendre sur ce point: si voter est un pilier de la démocratie, qu’elle soit représentative ou directe, l’on ne saurait réduire ce régime à ce modus operandi. Ce qui signifie que le résultat du vote doit être indissociable de son effectivité. En d’autres termes, que l’on procède par voie matérielle ou immatérielle, tout vote doit être sanctionné par une conséquence tangible (un changement de politique par exemple) et non symbolique (un changement de gouvernement).
En conclusion, si le vote électronique aurait pu éviter le risque de propagation du coronavirus parmi la population durant le premier tour des Municipales, il n’aurait pas pour autant réglé la maladie de la désaffection qui ronge la démocratie représentative depuis de longues années. Une fois encore, rappelons que le numérique est un moyen et non un palliatif.