«Ce n’est pas une priorité que de faire respecter dans les quartiers les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements», a déclaré le Secrétaire d’État Laurent Nuñez lors d’une visioconférence avec les préfets le 18 mars. Une révélation du Canard enchaîné qui conforte les instructions aux policiers du 92 que nous avions dévoilées la semaine dernière: alors que le confinement se révèle impraticable dans les zones de non-droit, l’État recule.
«C’est une question de rapport de forces: pour confiner tous ces gens, il faudrait des moyens policiers que nous n’avons pas», regrette l’ancien préfet Michel Aubouin au micro de Sputnik.
Les maires appellent l’État au secours…
Alors que les attroupements, les rodéos urbains et autres barbecues se multiplient avec le printemps et en dépit du bon sens sanitaire, certains élus craignent en effet le pire. La maire de Vénissieux (Rhône), Michèle Picard (PCF), a lancé un appel au secours pour obtenir des renforts de police. Avec 34 agents, la police municipale de cette ville de 66.000 habitants est débordée et n’est pas en mesure de faire respecter le confinement.
Mais les renforts viendront-ils? 100.000 agents devaient quadriller le territoire national, selon Emmanuel Macron, mais l’annonce tarde à être suivie d’effet. Il faut dire que la police est déjà exsangue, d’autant plus que les agents contaminés sont de plus en plus nombreux. Ayant reçu l’ordre de ne pas porter de masque, les agents sont particulièrement exposés à la contagion. Au 25 mars, 100 sont officiellement malades, et 5.000 sont quant à eux confinés. Du côté de la gendarmerie, on compte 25 malades et 600 confinés.*
… mais l’État tente d’acheter la paix sociale
Face au désarroi des élus, les représentants de l’État ne rassurent pas. Ainsi, le préfet de Seine-Saint-Denis a-t-il exigé du maire d’Aubervilliers de lever l’arrêté de couvre-feu, menaçant de l’attaquer devant une juridiction administrative pour illégalité. Pourtant, 112 villes en France l’ont édicté… tout comme le préfet des Alpes-Maritimes. Une façon d’acheter la paix sociale? Entre des émeutes urbaines au pire moment ou la propagation du virus, l’État semble avoir tranché pour le deuxième des maux.
«On continue de penser que les problèmes sont loin, qu’il suffit de cantonner ces gens dans leurs quartiers, et de penser les quartiers comme des espaces extérieurs à la nation», estime Michel Aubouin.
Or, un tel raisonnement est condamné à échouer. Car plus encore que le confinement dans ces quartiers, confiner ces quartiers est impossible: «les livreurs ou chauffeurs de VTC, les milliers de travailleurs indépendants en viennent», relève Michel Aubouin en guise d’exemple. La propagation du virus est dès lors garantie.
L'intervention tant attendue de l'armée?
Mais à l’échec du confinement dans les zones de non-droit, pourrait s’ajouter un coup brutal à leur économie. Les trafics de drogue, qui n’ont pas cessé à l’heure actuelle, pourraient bien s’assécher dans les jours à venir. Le secteur représente deux à trois milliards d’euros par an et pourvoit plus de 20.000 emplois à échelle nationale. Si certains collègues préfets de Michel Aubouin pensaient que le trafic pacifierait les quartiers, celui-ci dénonce «une énorme bêtise»: «je pense exactement le contraire: ça les rend incontrôlables.» Le gagne-pain de quartiers entiers est menacé à moyen terme, alors que les «go fast» sont rendus plus difficiles avec les nombreux contrôles policiers:
«Ça va créer une tension qui ne peut s’exprimer que par la violence, je ne crois pas qu’ils resteront tranquillement à regarder la télévision chez eux… sans parler des 5.000 détenus que Nicole Belloubet envisage de libérer», soupire notre interlocuteur.
Alors Michel Aubouin ne craint pas d’évoquer «d’autres types de moyens», et non des moindres: «je pense à l’armée», précise-t-il, sans craindre le politiquement incorrect. Mais est-ce vraiment réaliste? Oui, selon l’ancien préfet: «on le fait pour des opérations Sentinelle, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas pour des situations d’urgence sanitaire.»
Un besoin d’aide militaire qui se fait par ailleurs sentir en d’autres points du territoire, selon Michel Aubouin. En effet, les marchés sont désormais fermés, notamment dans les quartiers populaires de la capitale, à Barbès ou aux Batignolles. Le scénario du prolongement n’est pas à écarter:
«à un moment ou un autre, il faudra distribuer des produits alimentaires à la population des métropoles. On ne tiendra pas encore plusieurs semaines comme ça, et s’il faut le faire, c’est l’armée qui le fera.»