On aurait pu croire que le coronavirus aurait stoppé ou au moins freiné la Russie dans son entreprise d’ingérence dans les élections américaines… que nenni! Les hackers préférés de La Main du Kremlin –on l’espère, nettoyée au gel hydroalcoolique– continuent avec acharnement à tenter de déstabiliser la sphère politique américaine. En sacrés petits futés, ils ont apporté quelques modifications à leur stratégie d’attaque, mais ont finalement été retrouvés par CNN qui a mené l’enquête, au grand dam de Moscou!
"The man running EBLA calls himself Mr. Amara and claims to be South African. In reality he is a Ghanaian who lives in Russia and his name is Seth Wiredu." @clarissaward and @CNN on Russian outsourcing of political interference. https://t.co/DPs2DmbvbQ
— Shane Harris (@shaneharris) March 12, 2020
En 2016, la majeure partie de la prétendue campagne de déstabilisation des élections américaines s’était déroulée directement depuis des locaux fortifiés de Saint-Pétersbourg, en Russie. Pas malin. Cette fois, direction l’Afrique de l’Ouest, au Ghana et au Nigeria notamment. Une campagne de trolls sur les réseaux sociaux a été menée depuis ces pays dans le but d’attiser la division entre Américains et d’augmenter les troubles sociaux, conclut CNN.
Racisme, violences policières et afroféminisme, recette de troll russe?
La chaîne américaine a travaillé en collaboration avec deux professeurs de l’université de Clemson, Darren Linvill et Patrick Warren, pour enquêter sur cette nouvelle opération. L’un d’eux a même déclaré que la campagne sortait tout droit d’un livre de recettes russe. Les pirojki aux trolls?
«Il y a une longue histoire, remontant en fait à l’Union soviétique, de la Russie qui met l’accent sur les divisions raciales réelles et graves qui existent aux États-Unis, mais aussi qui essaye d’enflammer ces divisions», a déclaré M. Warren.
C’est dans la capitale ghanéenne, au sein d’une maison louée par l’ONG Eliminating Barriers for the Liberation of Africa (EBLA), qu’une dizaine de Ghanéens s’attelaient à semer le trouble aux États-Unis, en partageant notamment sur les réseaux sociaux des histoires sur le racisme, les violences policières ou l’afroféminisme. Au cours de la seconde moitié de l’année 2019, plus de 200 comptes auraient été créés. Les services de sécurité ghanéens ont d’abord jugé EBLA suspecte de «radicalisme organisé ayant des liens avec un corps étranger, recevant son financement d’une source anonyme dans un pays européen», sans préciser lequel. Mais une source a affirmé à CNN que le financement venait de Russie. Aurait-il seulement pu venir d’ailleurs…?
«Ils étaient très étroitement engagés dans la communauté Black Lives Matter. Ils parlaient presque exclusivement de ce qui se passait dans les rues des États-Unis et non dans les rues d’Afrique», a affirmé Darren Linvill à CNN.
L’homme qui dirige EBLA, un Sud-africain du nom de M. Amara, a quant à lui insisté sur le fait que l’organisation possède ses propres revenus et que les comptes étaient créés dans le seul but de «parler de ce qui est important pour les Noirs, parler de racisme et de brutalité policière.»
Une ONG africaine et une société russe dans le même sac
Dans la foulée de cette enquête, Facebook et Twitter ont annoncé dans un communiqué avoir fermé plusieurs comptes qui aurait des liens avec EBLA, mais aussi avec «des individus associés aux activités passées de l’Agence russe de recherche sur Internet (IRA)». Cette même entreprise, qui selon le gouvernement américain, serait en grande partie responsable d’ingérence dans les élections américaines de 2016 et 2018 (ainsi probablement que de tous les séismes, guerres, famines, épidémies et autres attentats qui sévissent dans le monde depuis la Guerre froide).
«Les comptes opérant depuis le Ghana et le Nigeria et que nous pouvons associer de manière fiable à la Russie ont tenté de semer la discorde en s’engageant dans des conversations sur des questions sociales, comme la race et les droits civils», a déclaré un représentant de Twitter à CNN.
Associer un fait à la Russie ne pose jamais de problème, le prouver, en revanche, devient plus compliqué.
Les Afro-Américains ont deux fois plus de chance d’être tués
Les sujets conflictuels au pays de l’oncle Sam, notamment en ce qui concerne les questions raciales, ne manquent pourtant pas. En effet, les Afro-Américains ont 2,5 fois plus de chances que les personnes blanches d’être tuées par la police, selon une étude réalisée par Fatal Encounter, un consortium de journalistes américains. Et les faits sont là, depuis des années le nombre d’affaires de policiers ayant tué des Afro-Américains a augmenté. François Durpaire, spécialiste des États-Unis explique cette mortalité importante par plusieurs facteurs à RFI:
«Il y a le facteur du préjugé raciste. Il y a le facteur de la peur que certains policiers ont lorsqu’ils interviennent auprès de la communauté noire. Là, il y a un travail considérable à faire, parce que pour le même type d’interpellation, lorsque vous êtes noir, vous avez plus de risque que la situation dégénère que lorsque vous êtes blanc.»
Cette discrimination divise l’Amérique depuis des années, et selon l’enquête de CNN c’est sur cette division déjà bien ancrée que la Russie voulait surfer. Mais les nombreuses affaires de racisme et de violences policières qui touchent l’Amérique n’ont pas attendu des posts partagés par de supposés trolls russes venus d’Afrique pour provoquer manifestations et indignation au sein de la population américaine. En effet, le pays de Martin Luther King et de Michael Brown n’a jamais eu besoin du KGB, du FSB, ni de quiconque pour tremper tout seul ses mains dans des violences policières ou racistes.