Au Burkina Faso, «le coronavirus n’aura pas raison de la grogne sociale»

© AFP 2024 OLYMPIA DE MAISMONTDes manifestants au Burkina Faso
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Le gouvernement burkinabè vient d’interdire, deux jours après la confirmation de deux premiers cas de coronavirus, tous les rassemblements et manifestations populaires jusqu’à fin avril. Cette mesure, censée prévenir la propagation du virus, est jugée «opportuniste» dans un pays où la grogne sociale se fait entendre dans les rues. Décryptage.

Après une première fausse alerte très médiatisée en février, le Burkina Faso vient d’enregistrer ses premiers cas de coronavirus, ce qui en fait le quatrième pays touché en Afrique de l’Ouest après le Nigeria, le Sénégal et le Togo.

La ministre de la Santé Claudine Lougué a annoncé le 9 mars dernier que les prélèvements et analyses effectués sur un couple de Burkinabè rentré fin février de Mulhouse, en France, se sont révélés positifs au coronavirus. Une centaine de personnes qui ont été en contact avec les deux époux infectés sont par conséquent recherchées pour être soumises aux mesures de confinement.

Pour limiter la propagation de la maladie, les autorités du pays ont annoncé le 11 mars la suspension, jusqu'au 30 avril, de toutes les manifestations d'envergure nationale et internationale. Mais déjà, des voix s’élèvent du côté des responsables syndicaux et activistes pour dénoncer une «décision opportuniste» du gouvernement.

«Sous prétexte de coronavirus, vous interdisez les rassemblements et au même moment, vous laissez les gares, marchés, écoles et universités ouverts. Quel paradoxe! Nous ne sommes pas bêtes: on vous voit venir dans votre tentative d'interdire les marches et meetings des syndicats dans leur lutte contre l'application de l'IUTS. Sauf que ça ne marchera pas», a aussitôt publié sur Facebook Naïm Touré, l’un des activistes les plus en vue du Burkina Faso.

La tension sociale est particulièrement vive ces dernières semaines dans le pays avec, au cœur de la fronde, l’impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS), dont l’extension aux primes et indemnités des agents publics est fortement décriée par les organisations syndicales et l’opposition.

Le 7 mars dernier, des milliers de travailleurs ont marché dans plusieurs villes du pays, à l’appel d’organisations syndicales dont la Confédération générale du travail (CGT-B), pour réclamer la suppression de l’IUTS sur leurs primes et indemnités.

Des manifestations qui, de l’avis de plusieurs observateurs, sont à la fois un test et un avertissement au gouvernement, avant une grève générale prévue du 16 au 20 mars.

Comprendre l’IUTS

Avant 1970, les travailleurs Burkinabè étaient soumis à trois impôts distincts: l’impôt cédulaire (IC), l’impôt progressif sur le revenu (IPR) et l’impôt forfaitaire.

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Face aux difficultés de recouvrement, le gouvernement d’alors avait décidé, par ordonnance, de mettre fin à cette pluralité d’impôts et de n’en instituer qu’un seul, l’IUTS. Même si, dans la pratique, les fonctionnaires continuaient de s’acquitter d’autres types d’impôts comme la TVA (lors de prêts bancaires notamment) ou encore de la taxe de résidence.

En décembre 2017, un nouveau Code général des impôts a été adopté par l’Assemblée nationale. Ce texte, entré en vigueur le 1er janvier 2018, dispose que l’IUTS soit étendu, en plus des traitements et salaires, aux primes et indemnités des travailleurs du public comme du privé.

C'est finalement en février dernier que les autorités burkinabè ont décidé d’appliquer aux agents publics cette mesure –déjà effective dans le secteur privé– qui suscite le courroux des syndicats.

«Le gouvernement a décidé de réparer une injustice sociale en mettant tous les citoyens sur un pied d’égalité. Cette disposition vient réparer une situation d’injustice donc elle est légale et légitime. Elle est d’autant plus légitime qu’aujourd’hui, le Burkina Faso a besoin de ressources», s’était défendu au micro d’un média local Moumouni Lougué, directeur général des impôts.

Pour Moussa Zerbo, député et porte-parole de l’Union pour le progrès et le changement (UPC), le principal parti de l’opposition, si la démarche du gouvernement s’inscrit dans un souci d’équité entre le traitement des fonctionnaires et les travailleurs du privé, «il faudrait alors rétablir la justice sociale» en supprimant les prélèvements sur les primes et indemnités des derniers. Ainsi, le sort de tous serait effectivement le même.

«Est-ce logique d’envisager de ponctionner les indemnités des fonctionnaires –déjà que les salaires sont dérisoires? Nous estimons qu’il est possible pour l’État de mobiliser des ressources sans toucher aux revenus des salariés du secteur public», a réagi ce responsable de l’opposition, interrogé par Sputnik.

Et la mobilisation de ces ressources, pour le parlementaire, passe notamment par la lutte contre la fraude fiscale.

L'évasion fiscale coûterait, en effet, chaque année au Burkina Faso, plusieurs centaines de milliards de francs CFA. Et selon un rapport du ministère de l’Économie et des finances, de 2014 à 2017, ce sont plus de 320 milliards de francs CFA (488 millions d’euros) d’impôts déclarés qui n’ont jamais pas été recouvrés.

«Comment comprendre que l’on laisse filer cette manne considérable quand ce que l’État veut prélever aux fonctionnaires représente au bas mot 18 milliards de francs CFA (21,4 millions d’euros). Il y a là une injustice qui ne dit pas son nom», a estimé Moussa Zerbo.

Une crise sociale qui perdure

Les manifestations contre l’IUTS ne sont que l’une des pointes visibles de la crise sociale qui secoue ces dernières années le Burkina Faso et dont les réseaux sociaux s’en font régulièrement l’écho.

Tout au long de 2019, la grogne sociale a fait rage. Le gouvernement a dû faire face à des contestations sociales tous azimuts. Notamment dans le secteur de la santé où, durant de longs mois, les hôpitaux publics ont tourné au ralenti en raison d’une grève des agents pour protester contre leurs conditions de vie et de travail.

Les pertes imputables à ces mouvements sociaux se sont élevées à plusieurs dizaines de milliards de francs CFA. Moussa Zerbo estime que l’État gagnerait à stopper l’hémorragie en dialoguant avec les responsables syndicaux pour trouver un terrain d’entente.

«Par ailleurs, la grogne autour de l’IUTS ne présage pas de lendemains meilleurs pour le Burkina Faso. Cela risque, à terme, d’occasionner pas mal de situations désastreuses», a-t-il déclaré au micro de Sputnik.

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Les inquiétudes de Moussa Zerbo sont partagées par Pascal Zaïda, coordonnateur du Cadre d'expression démocratique (CED, une organisation de la société civile) qui, pour sa part, attribue les «problèmes que vit le le pays sur les plans social, politique et économique à l’entêtement des gouvernants à fermer les yeux» sur ce qui les entoure.

«Je souhaite que la forte mobilisation des marches du 7 mars pourra ramener les uns et les autres à prendre la pleine mesure de la situation. Sinon, les jours à venir pourraient être remplis de surprises quand on observe la colère et le dépit des populations», a-t-il déclaré au micro de Sputnik.

Un processus électoral menacé

Le 22 novembre prochain, des élections présidentielle et législatives auront lieu au Burkina Faso. Des responsables de la société civile et politiques craignent que la grève générale prévue du 16 au 20 mars ait un impact conséquent sur le processus électoral en cours, qui souffre déjà de l’insécurité liée au terrorisme.

«Comme tout le monde le sait, les agents de l’État sont fortement impliqués dans le processus électoral, tant au niveau administratif que sur le terrain. Cette grève générale peut affecter plus ou moins les élections à venir», a déclaré Moussa Zerbo.
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