C’est un procès marathon qui s’est ouvert dimanche à 11h au tribunal de Dar el Beida (juridiction de l’est de la capitale) et qui s’est terminé à 2h30 dans la nuit. Une audience consacrée exclusivement à Fodil Boumala, journaliste, politologue et activiste politique, interpellé à son domicile le 18 septembre 2019. Poursuivi pour «atteinte à l’unité nationale» et «affichage de tracts portant atteinte à l’unité nationale», il a été placé en détention provisoire à la prison d’El Harrach.
«Je suis prêt à être poursuivi pour tout ce que j’ai écrit ces trente dernières années, si vous trouvez un seul mot qui prouve que j’ai porté atteinte à l’unité du pays, alors j’accepte d’être condamné à mort. Vous êtes restés muets lorsque Bouteflika détruisait l’Algérie. Lorsqu’il est devenu affaibli et menotté, vous avez commencé à vous pavaner en affirmant votre opposition à haute voix. Je ne suis qu’un atome au sein d’un peuple qui cherche la liberté», a lancé Fodil Boumala au juge.
Le magistrat, impassible, a laissé le prévenu s’exprimer. Dans son allocution, Boumala a invoqué tour à tour Winston Churchill, Omar ibn-Khattab (deuxième calife de l’islam), les martyrs de la révolution algérienne et des personnalités politiques qui ont marqué le pays. Il a précisé qu’il s’était opposé au général Ahmed Gaïd Salah car «il portait une double casquette: une militaire et une politique». Ses propos étaient entrecoupés d’applaudissements, ce qui a eu pour effet de faire réagir le juge qui a menacé, à plusieurs reprises, de faire évacuer la salle.
La longue déclaration de Boumala a été enregistrée et diffusée presque en direct sur les réseaux sociaux.
«Le juge n’a pas posé beaucoup de questions au prévenu, ce qui nous laisse penser que le magistrat n’est pas convaincu de sa culpabilité», a déclaré à Sputnik Me Moumene Chadi, avocat inscrit au barreau de Constantine.
C’est au tour du procureur de prendre la parole. Il a rappelé les chefs d’inculpation et requis une peine d’une année de prison ferme et une amende de 100 000 dinars (770 euros). Après une courte pause, les avocats de la défense ont été appelés à intervenir.
«Le collectif d’avocats a mis en œuvre une stratégie commune visant à démontrer l’existence de six vices de forme, a commencé par l’anticonstitutionnalité de l’action judiciaire. Pour ma part, j’ai basé ma plaidoirie sur une série d’irrégularités dans la procédure de police lors de l’arrestation et de l’interrogatoire. J’ai demandé au procureur pourquoi le ministère public avait accepté des procès-verbaux qui comportaient des anomalies flagrantes», a expliqué l’avocat.
«Je pense que le pouvoir n’a pas évalué l’impact populaire et politique de ces procès. Il n’a pas pris en considération la dimension de mobilisation lors de ces audiences. Ce sont des tribunes politiques, des moments de mobilisation pris en faveur du Hirak. Dans le cas de Fodil Boumala, c’est chèrement payé car il est en prison depuis cinq mois. Il n’est pas le seul: Samira Messouci, Lakhdar Bouregaa et d’autres encore ont affiché leur engagement face à la justice. Ce sont donc des procès intenses du fait des interventions et de la dignité des prévenus et les plaidoiries des avocats», a assuré Moumène Khelil.
Les plaidoiries au tribunal de Dar-el-Beida se sont poursuivies tard dans la nuit jusqu’à 2h30. Les derniers avocats à intervenir ont demandé au juge de statuer au terme de l’audience. Mais le magistrat n’en a rien fait. Il a décidé de rendre son verdict le 1er mars. La foule a quitté la salle d’audience en dénonçant les agissements «d’une justice aux ordres».
L’arrivée au pouvoir du Président Abdelmadjid Tebboune a coïncidé avec la sortie de prison de plusieurs détenus d’opinion arrivés en fin de peine. Mais la libération de l’ensemble des prisonniers et l’arrêt des arrestations, deux revendications du Mouvement citoyen, ne sont toujours pas acquis.