À l’instar de Jacques Maillot, le fondateur de Nouvelles Frontières, Maurice Freund, qui a créé «Point-Mulhouse» en 1965 puis «Point-Air» en 1985 et, enfin, «Point-Afrique Voyages», en 1995, après avoir dirigé Air Mali pendant quelques mois, a très vite cru aux voyages aériens à faible coût. L’un des pionniers en France du tourisme équitable et de l’économie solidaire dans le Sahel, cet «Alsacien au cœur africain» –comme il aime à se désigner– est un amoureux de cette région qu’il connaît comme sa poche pour l’avoir parcourue de long en large.
Commencée en 1987, au Burkina Faso, sous la présidence de Thomas Sankara qui a été le premier à lui donner l’autorisation d’atterrir, du jamais-vu à une époque où Air Afrique avait le monopole absolu sur tous les vols interafricains, son odyssée l’a amené très vite au Mali, avec des vols hebdomadaires réguliers sur l’axe Ouagadougou, Sévaré, Gao, Mopti. Puis au Niger à Agadez, en Mauritanie dans l’Adrar, voire même en Libye, en Algérie et au Tchad. Il y a développé ce qui avait fait son succès précédemment, à savoir des vols charters très bon marché avec un tourisme solidaire consistant à vivre sous la tente ou chez l’habitant.
Face à une situation sécuritaire qui s’est terriblement dégradée au Mali depuis l’assaut des djihadistes en 2012, le fondateur de Point-Afrique a été obligé de suspendre tous ses vols sur ce pays puis, à partir de novembre 2015, sur l’ensemble de la région. Ces attaques du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad, indépendantiste) et d’Ansar Dine, fondé par Iyad Ag Ghali, ont nécessité le déploiement de forces françaises dans le cadre de l’opération Serval pour éviter que la capitale Bamako ne tombe aux mains des islamistes. Ce dispositif a été remplacé en 2014 par la force Barkhane, complétée par le déploiement de troupes étrangères au sein de la Minusma. Au vu de cette situation de guerre au nord du pays, qui s’est encore compliquée avec des affrontements intercommunautaires au centre, tout déplacement de visiteurs étrangers autre qu’humanitaire est devenu impossible. D’autant que, très vite, les attaques djihadistes ont débordé sur les pays voisins.
Sputnik France: Comment expliquez-vous que le Président Ibrahim Boubacar Keita veuille négocier avec Iyad Ag Ghali au nord? Est-ce une bonne chose, selon vous?
Maurice Freund: «Que le chef de l’État malien veuille négocier avec Iyad AG Ghali me semble non seulement nécessaire, mais indispensable pour retrouver la paix au Mali. Cependant, je crains qu’Ibrahim Boubacar Keita ne cherche ainsi à faire diversion pour repousser la mise en place des Accords d’Alger qui piétinent depuis leur signature en juin 1995. Dès le départ, il y a eu une véritable volonté de ne pas aboutir de la part des autorités gouvernementales à Bamako. Sans doute parce qu’elles ont été contraintes dans ces accords.»
Maurice Freund: «Non, je ne suis pas surpris. Le problème entre les Peuls et les différentes composantes ethniques de cette région –que ce soit les Touaregs ou bien les Dogons ou d’autres sédentaires de la zone– remonte à la nuit des temps. J’ai toujours connu ces luttes pour l’occupation des zones de pâturage non seulement entre pasteurs, mais surtout entre éleveurs et cultivateurs. Certes, l’ampleur de ces massacres a pris des proportions inacceptables du fait du climat général d’insécurité qui règne dans la zone. Et, plus grave, cette haine s’étend maintenant aux pays voisins. Quant à Amadou Koufa, il est lié à Iyad Ag Ghali et suit ses ordres. Si un accord est trouvé avec ce dernier, la crise au Nord et, par ricochet, dans le reste du pays, peut se régler en trois mois.»
Sputnik France: Pensez-vous que l’otage française Sophie Pétronin, enlevée en décembre 2016 à Gao, au Mali, avant d’être «vendue», soit toujours en vie?
Maurice Freund: Je connais bien Sophie Pétronin. Elle s’était rendue la première fois au Mali en décembre1995, en qualité de touriste, sur le premier vol de Point-Afrique à Gao. Frappée par la situation désastreuse dans la ville consécutive aux cinq années de révolte touarègue, elle avait décidé de s’investir auprès des enfants de la rue. Point-Afrique l’avait soutenue et lui avait même apporté son concours. Elle est aujourd’hui le seul otage français en Afrique à être encore détenu.
Sputnik France: Comment se fait-il que l’on n’ait toujours pas fait la lumière sur le meurtre des deux journalistes de RFI (Ghislaine Dupont et Claude Verlon)? Avez-vous une idée de qui aurait pu perpétrer ce crime?
Maurice Freund: Je ne sais rien de plus que ce qui est relaté dans la presse.
Sputnik France: Qu’est-ce qui vous a décidé à relancer des voyages vers Atar en Mauritanie? Est-ce que tout s’est passé comme vous l’aviez prévu?
Maurice Freund: La Mauritanie est le seul pays du Sahel à avoir réussi à sécuriser une grande partie de son territoire. Depuis 2012, il n’y a eu aucun enlèvement ni aucun incident lié au terrorisme djihadiste. Tout ceci a été possible grâce au concours et au soutien du général Marc Foucaud (ancien patron de Serval et initiateur de l’opération Barkhane, ndlr) qui a fait évoluer la position du Quai d’Orsay en 2017 en ce qui concerne le risque que représentait ce pays.
Sputnik France: Quelles sont les perspectives actuelles?
Maurice Freund: L’amalgame des problèmes au Mali, au Niger, sans parler du Burkina Faso, est amplement diffusé par la presse française. Il se répercute forcément sur la Mauritanie qui en pâtit. D’où une chute des réservations de près de 20% pour 2019-2020 mais qui, je l’espère, vont bientôt se redresser. D’autant que la Mauritanie prend la présidence tournante du G5 Sahel à compter du 25 février.
Sputnik France: Actuellement, à combien estimez-vous les pertes touristiques pour les opérateurs du Mali et les populations qui en vivaient (pays dogon, Touaregs, Djenne, Tombouctou en plus de Gao, etc.)
Maurice Freund: Évidement, seul le retour à la paix nous permettra de relancer l’activité touristique. Sans la paix, rien ne sera possible et elle passe par un accord préalable avec Iyad Ag Ghali pour pacifier le nord du Mali. En 2008, Point-Afrique Voyages transportait près de 35.000 touristes qui atterrissaient à Sévaré et à Gao. Nous avions formé des centaines de guides, de chauffeurs, de chameliers, de cuisiniers, de pinassiers, etc. Sans parler des retombées pour les hôteliers sur place, les mécaniciens et les garagistes, les commerçants. Bref, toute une économie solidaire qui s’était mise en place grâce à ce tourisme. Nous ne sommes jamais arrivés à Kidal, mais Iyad Ag Ghali, avec lequel nous avions des liens étroits et qui est un chef touareg très intelligent, avait bien compris l’intérêt qu’il y avait à laisser le tourisme se développer.
Maurice Freund: Depuis 2015, tout est à l’arrêt dans l’ensemble des pays de la région que nous desservions, hormis la Mauritanie. Au Burkina Faso, c’est un peu particulier puisque après l’assassinat de Thomas Sankara, Blaise Compaoré nous a fait interdire. Lors de l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président burkinabé, la situation sécuritaire était déjà suffisamment dégradée pour que nous ne tentions pas de reprendre nos activités dans ce pays.
Ce qui est d’autant plus regrettable que nous avons conscience d’être un élément pour le développement économique et social des pays du Sahel. C’est même notre principale raison d’être car nous n’avons jamais été une entreprise capitalistique. Nous sommes depuis le départ une coopérative issue de l’économie sociale et entendons le rester!
Sputnik France: Le risque sécuritaire, aujourd’hui, vous paraît-il également important pour les États côtiers, comme le Bénin, qui risquent à leur tour d’être gangrenés?
Maurice Freund: Oui bien sûr, le risque est énorme pour tous les États du Golfe de Guinée. Et si rien n’est fait pour arrêter l’avancée des djihadistes, ces États risquent aussi, à leur tour, d’être déstabilisés.