Devant la justice, serions-nous inégaux… au pays de l’égalitarisme? Piotr Pavlenski a été arrêté le 14 février, le jour même du retrait de Benjamin Griveaux de la course à la mairie de Paris. Le 19 février sur France Inter, Christophe Castaner évoquait une remise en cause du statut de réfugié politique du performer. L’expulsion manu militari, un sort également réservé au jeune cambrioleur algérien de l’appartement de Julie Gayet, la compagne de François Hollande, arrêté et placé en détention trois jours seulement après les faits. Un zèle, une réactivité, que l’on ne constate pas dans des affaires similaires –parfois criminelles– qui affectent chaque jour les Français.
On remarquera également que l’appartement de Julie Gayet a été passé au peigne fin par les enquêteurs, contactés par l’officier de sécurité de François Hollande, resté à son service, et les analyses ont été rondement menées. Lors de cambriolages, elles peuvent se chiffrer à «plusieurs dizaines de milliers d’euros» en cas de recours à un labo privé. Dans d’autres cas, comme celui d’Élisa Pilarski, cette jeune femme enceinte de six mois tuée par une meute de chiens le 16 novembre dernier, les analyses auraient été jugées trop onéreuses, d’après une information de France Info.
Des cas de figure sur lesquels nous avons interrogé Régis de Castelnau, avocat spécialiste en droit public, fondateur du Syndicat des avocats de France (SAF) et animateur du blogue vu du droit.
Sputnik: Est-ce la couverture médiatique qui donne cette impression ou aurait-on en France une justice à deux vitesses?
Régis de Castelnau: «La France a évidemment une justice à plusieurs vitesses, ce n’est pas une nouveauté, cela s’est toujours passé comme ça. Il est clair que le parquet, c’est-à-dire l’autorité de poursuite soumise hiérarchiquement au pouvoir exécutif, déploie un zèle particulier dès lors que l’on est en face d’affaires sensibles. Effectivement, l’actualité récente vient de nous donner des exemples assez caricaturaux.
En revanche, depuis un mois, alors que les auteurs des délits commis à l’encontre de Mila peuvent être très facilement identifiés grâce à leurs adresses IP, aucune arrestation, aucune garde à vue, aucune poursuite. Il s’agit là bien évidemment d’une décision politique visant à ménager la communauté musulmane.
Si l’on met cette affaire en regard du cambriolage dont a été victime la compagne de François Hollande, comme des centaines de milliers de Français par an, sans que l’on ne retrouve jamais les coupables, l’arrestation de l’auteur dans les trois jours (!) relève de la caricature. Et que dire de l’arrestation de Pavlenski, auteur de la diffusion de la vidéo pornographique réalisée par Benjamin Griveaux… La violence de la réaction du mainstream, manifestement terrifié par ce précédent, explique cette incroyable célérité.»
Sputnik: Une telle différence de traitement des affaires, suivant le statut des victimes, a-t-elle toujours existée ou est-ce quelque chose de relativement récent?
Régis de Castelnau: «Oui, évidemment, comme je le disais, ce n’est pas une nouveauté, cette façon d’aborder la gestion des poursuites en fonction de l’importance des affaires traitées, et surtout de leur impact dans l’opinion publique. Le problème est qu’avec François Hollande d’abord et Emmanuel Macron maintenant, c’est devenu un véritable système. L’essentiel de l’appareil judiciaire ayant rallié le pouvoir, il suit avec docilité les injonctions de celui-ci. Il y a désormais trois catégories d’affaires pénales qui font l’objet de traitement différencié.
Tout d’abord, lorsqu’il s’agit d’instrumentaliser la justice avec un politique, comme l’a montré par exemple l’affaire Fillon, dont la phase initiale fut absolument fulgurante et uniquement motivée par l’objectif d’écarter le candidat de la droite de la Présidentielle et de favoriser l’élection d’Emmanuel Macron. Cette affaire, qui était si urgente au printemps 2017, s’est paisiblement endormie ensuite, pour n’être jugé que trois ans plus tard… il est d’ailleurs assez intéressant de constater que la gestion des affaires pénales concernant l’opposition comme Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, jusqu’à Gérard Collomb, qui s’était permis de prendre ses distances avec Macron, que cette gestion, donc, obéit à des agendas très politiques. Toutes les initiatives de procédure sont articulées avec les échéances politiques nationales.
Et enfin, la violente répression de masse du mouvement social des Gilets jaunes et des manifestations contre la réforme des retraites s’est déroulée exclusivement en choisissant les procédures dites de “comparutions immédiates” qui permettent d’embastiller dans l’urgence. Cette répression est là aussi assortie d’une mansuétude, d’une indulgence assez invraisemblable vis-à-vis des violences policières massives, qu’il n’est pas possible de contester et qui n’ont pu se développer que grâce au refus de la justice de les poursuivre, assurant ainsi une impunité coupable à ces débordements.»
Sputnik: Peut-on parler de justice politique en France?
Régis de Castelnau: «De ce point de vue, pour répondre à votre question précise, on peut tout à fait dire qu’il existe en France aujourd’hui, de façon quasi caricaturale, une justice politique. Je répète que cette situation est relativement nouvelle à ce niveau et a pris racine sous cette forme dans le mandat de François Hollande, qui est le grand responsable de cet état de fait. Elle s’est poursuivie et développée avec Emmanuel Macron, probablement ravi de l’aubaine.»
Sputnik: Si, «selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blancs ou noirs», constatez-vous une dérive récente de la justice en ce domaine?
Régis de Castelnau: «Je dirais d’abord que, pour ne pas encourir trop brutalement les foudres de la justice, il ne vaut mieux pas être un opposant politique –quel qu’il soit– à Emmanuel Macron. Cette présentation assez lapidaire est malheureusement fondée.
En revanche, le vers de Jean de La Fontaine, dans sa fable Les animaux malades de la peste, est beaucoup moins visible qu’avant. La puissance et la richesse, ou l’appui des meilleurs avocats, n’est pas une garantie d’impunité, comme vient de le montrer l’affaire Balkany.
Mais il existe incontestablement une réserve de la part des juridictions répressives vis-à-vis de la délinquance en col blanc, l’affaire Balkany ne devant pas être l’arbre qui cache la forêt.»
Sputnik: Le laxisme judiciaire, que certains dénoncent, est-il aussi à géométrie variable en fonction des zones géographiques ou des milieux sociaux?
Régis de Castelnau: «Vous posez la question du laxisme que l’on reproche la justice dès lors qu’il s’agit de la délinquance dite “des quartiers”, lorsqu’on apprend l’arrestation d’un individu ayant 20 condamnations à son casier judiciaire et n’ayant jamais accompli la moindre journée de prison.
Face à ce manque de moyens, tant des forces de l’ordre que de l’appareil judiciaire, un certain nombre de comportements on finit par être adoptés. Il y a tout d’abord une forme de consensus entre les forces de police et les parquets pour laisser impunie toute une délinquance que l’on va qualifier de “tous les jours”, délinquance qui a quand même un impact considérable sur la population.
On trouve ainsi banal qu’à diverses occasions, des milliers de voitures, qui sont celles des pauvres, soient incendiées. Il n’y a jamais de recherche des auteurs (en général bien connus des forces de police) et une volonté de minorer le phénomène de la part des pouvoirs publics. Pareil pour les cambriolages, les vols avec ou sans violence, les agressions gratuites, etc. Il n’est pas exagéré de dire que faute de moyens, et par abandon des zones concernées, une forme de délinquance a été dépénalisée dans notre pays. Sait-on qu’il y a un million et demi d’infractions avec auteurs connus, mais qui ne sont pas poursuivies?
Je crois qu’il est malheureusement tout à fait possible de dire aujourd’hui qu’en France, pour toutes les raisons que je viens d’indiquer, la justice n’est pas la même pour tous.»