Le Premier ministre canadien s’est lancé dans une courte opération de séduction de l’Afrique. Après avoir séjourné en Éthiopie où il a rencontré son Premier ministre, Abiy Ahmed, Justin Trudeau se rendra cette semaine au Sénégal. Le 9 février dernier, à l’occasion du 33e sommet de l’Union africaine, Trudeau a aussi rencontré des chefs d’État africains parmi lesquels le Président du Nigeria, Muhammadu Buhari, et le Président de Madagascar, Andry Rajoelina.
Étant la plus grande économie et le pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigeria est un partenaire clé du Canada. Ce matin, le président @MBuhari et moi avons parlé de la collaboration renforcée des entreprises des deux pays et de nos priorités communes : https://t.co/P4jW7I9qNE pic.twitter.com/RNFqHJW7ZG
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) February 9, 2020
«Ces visites seront axées sur les opportunités et la prospérité économiques, les changements climatiques, la démocratie et l’égalité des sexes. Elles offriront l’occasion de renforcer nos relations», annonçait Justin Trudeau par communiqué.
Au-delà de ce discours officiel, le but du voyage est surtout de courtiser les pays africains en vue de la prochaine élection de deux sièges non permanents du Conseil de sécurité de l’Onu. Durant sa première campagne électorale de 2015, Trudeau avait promis aux Canadiens qu’il parviendrait à obtenir un siège au Conseil, gage à venir, selon lui, de la valeur de sa politique étrangère. Le Canada a occupé six fois un siège au Conseil de sécurité depuis les années 1940, mais son dernier mandat remonte déjà à 1999-2000.
Les liens entre le Canada et l’Égypte, et entre les gens qui y vivent, sont profonds. Le président @AlsisiOfficial et moi avons discuté du renforcement des relations économiques, du soutien à la paix et au développement dans le monde, et plus encore : https://t.co/GcOEVm5zdh pic.twitter.com/csBGbbPA8p
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) February 9, 2020
Pour Jocelyn Coulon, ex-conseiller du ministre canadien des Affaires étrangères Stéphane Dion (2016-2017), Justin Trudeau entreprend beaucoup trop tard ses démarches. M.Coulon publiera dans quelques semaines un livre sur le Conseil de sécurité de l’Onu.
«Sous les ex-Premiers ministres Brian Mulroney et Jean Chrétien, le Canada avait mené des campagnes du début à la fin. Ils étaient quotidiennement impliqués pour promouvoir la candidature du Canada au Conseil de sécurité. Trudeau a seulement commencé à se mobiliser à l’automne dernier en nommant à sa place deux envoyés spéciaux, l’ex-Premier ministre canadien Joe Clark et l’ex-Premier ministre québécois Jean Charest. C’était déjà mauvais signe», souligne M.Coulon à notre micro.
«Justin Trudeau a au moins pu rencontrer une demi-douzaine de chefs d’État en Éthiopie. En revanche, il n’a pas été invité à prononcer un discours devant l’Union africaine, alors que les chefs d’État étrangers reçoivent habituellement une invitation. [...] Au temps de Stephen Harper, le Canada a décidé de se tourner vers l’Amérique latine et l’Asie, mais il s’agit d’un calcul à court terme qui ne se révélera pas très visionnaire», estime le chercheur.
Expert français en économie politique africaine, Loup Viallet relativise le désengagement du Canada en Afrique. Selon lui, le Canada demeure une petite puissance, autrement dit un pays privé des moyens d’une implication soutenue. Rédacteur du blog Questions africaines, il écrit régulièrement dans Les Échos, Mondafrique, Les Yeux du Monde et Conflits.
«L’Afrique n’a jamais été un partenaire majeur du Canada. [...] Toutefois, certaines puissances tentent d’acheter le vote des pays africains pour faire valoir leurs intérêts au sein des organisations internationales comme l’Onu. Il s’agit d’une sorte de marchandage. Le Canada n’a pas vraiment de poids réel à l’international. Trudeau ne cherche donc pas à régler des conflits, à régler le problème de la désertification et à s’intégrer au jeu géopolitique: il cherche à conforter son discours sur le monde», observe M.Viallet en entrevue avec Sputnik.
Pour Jocelyn Coulon, «en n’offrant rien de concret» à ce continent, le Canada renonce même au multilatéralisme, principe phare de la politique étrangère des Libéraux canadiens dans l’Histoire.
«Contrairement à l’Allemagne et la Russie qui ont fait de vrais efforts pour se rapprocher de l’Afrique, le Canada n’a que des beaux discours à lui offrir. Par exemple, la question de l’égalité des sexes ne relève pas du Conseil de sécurité... Le Conseil s’occupe des questions liées à la paix et la guerre. Le Canada ne doit pas s’étonner de ne pas peser dans la balance s’il n’envoie pas de soldats dans les opérations de paix de l’Onu», déplore-t-il.
Pour courtiser l’Éthiopie, Trudeau a suggéré qu’un accord d’investissement avec elle puisse éventuellement être mis sur la table. Cet accord prendrait notamment la forme de nouveaux investissements canadiens dans ce pays de la Corne de l’Afrique.
Canadians and Ethiopians share the same ambition to create a future where everyone - regardless of gender - can reach their full potential. And by working with the @_AfricanUnion to make sure everyone has the tools they need to succeed, we’ll create that future together. pic.twitter.com/Bmk1NCmtt7
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) February 8, 2020
Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, est considéré comme l’un des dirigeants les plus influents en Afrique. En 2019, il a remporté le prix Nobel de la paix et figurait parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde selon le Time Magazine. Malgré tout, Loup Viallet estime que l’opération séduction du Canada ne suffira pas à compenser son manque d’engagement concret:
«Justin Trudeau fait toutes les erreurs des dirigeants occidentaux en Afrique. Le Premier ministre canadien continue de voir les pays africains comme des États avec lesquels on peut marchander. [...] Le Premier ministre canadien ne cherche pas à développer une vraie relation économique et diplomatique avec l’Afrique. Ce continent est vu comme un comptoir. Justin Trudeau s’adresse à l’Afrique pour faire de la communication et servir son image», tranche Loup Viallet.
Le Canada parviendra-t-il à décrocher le siège convoité? Les chances sont minces pour ces deux experts.