Alain Deneault: «La diplomatie canadienne est le bras armé des sociétés minières»

© AFP 2024 AHMED OUOBALa mine d’extraction aurifère du canadien IamGold à Essakane, au Burkina Faso.
La mine d’extraction aurifère du canadien IamGold à Essakane, au Burkina Faso. - Sputnik Afrique
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Les sociétés minières canadiennes, des entreprises-voyous? En Afrique et en Amérique latine, certaines d’entre elles sont accusées de violer les droits de la personne et de détruire des écosystèmes. Pour le célèbre essayiste Alain Deneault, il serait temps que le Canada reconnaisse le coût éthique du système qu’il a instauré. Entrevue.

Les sociétés minières canadiennes n’ont pas tout à fait la même image progressiste que le Premier ministre du pays, Justin Trudeau.

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Au Chili, «des minières canadiennes utilisent toute l’eau dont les agriculteurs ont besoin»
Le 6 janvier dernier, une délégation d’Autochtones manifestait à Santiago, devant l’ambassade du Canada au Chili, pour dénoncer l’expansion des minières canadiennes Teck et Barrick, basées respectivement à Vancouver et Toronto. Interrogée par Sputnik, l’organisatrice de l’événement et conseillère municipale de la commune de Pica, Catalina Cortés, avait affirmé que ces sociétés piétinaient les droits de son peuple, une communauté autochtone du nord du pays:

«Les entreprises minières canadiennes ont carte blanche au Chili. [...] Ces entreprises pompent l’eau de nos territoires ancestraux. Notre communauté est surtout composée d’agriculteurs. Les minières canadiennes utilisent toute l’eau dont les agriculteurs ont besoin. Parfois, il ne reste pas assez d’eau pour nourrir le bétail. Les minières sont en train d’assécher les nappes phréatiques», déplorait Mme Cortés à notre micro.

Plus de dix ans après la parution de son best-seller Noir Canada (Éd. Écosociété), l’essayiste et philosophe Alain Deneault déplore toujours le rôle du Canada dans le maintien du système minier international. Dans cet ouvrage, l’enseignant québécois brossait notamment un portrait très sombre de l’action des minières canadiennes en Afrique. Un portrait comparable au récent bilan de ces mêmes sociétés en Amérique latine.

«Environ trois sociétés minières sur quatre au monde sont canadiennes. L’immense majorité des sociétés minières du monde sont cotées en bourse à Toronto: elles le sont à peu près à la hauteur de 60%. [...] Le Canada est un paradis réglementaire du domaine minier international. Le Canada offre un bouquet d’avantages à l’industrie minière, notamment celui de spéculer sur la valeur d’une mine sur les marchés financiers», analyse d’abord Alain Deneault en entrevue.

Critique du néolibéralisme et spécialiste des paradis fiscaux, Alain Deneault explique que de nombreuses structures économiques et gouvernementales au Canada sont impliquées dans le maintien du système minier. Cette réalité ferait en sorte de passer sous silence des «abus graves» commis par des sociétés enregistrées au Canada. De fait, certaines de ces sociétés peuvent être possédées totalement ou en partie par des étrangers.

«Un Britannique peut très bien créer une société minière au Canada, à Toronto, et exploiter une mine de cuivre au Congo. Ce ne serait pas inusité. Il s’agit pour lui de rendre coactionnaires des investisseurs canadiens, qui sont avantagés par la législation de leur pays à investir dans le domaine minier. [...] Tout est fait pour que les cas d’abus perpétrés par les minières restent obscurs. On ne parle que de rendement. On ne dit pas le coût social et éthique de ce rendement», précise l’essayiste.

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En 2012 avec Wiliam Sacher, l’enseignant publiait aussi Paradis sous terre, un livre dans lequel il exposait les rouages de ce système, dont le Canada est la plaque tournante. Un système qui a été «échafaudé à l’insu des Canadiens et qui ne profite pas tellement aux petits épargnants», se désole le directeur de programme au Collège international de philosophie à Paris.

«La diplomatie canadienne est une sorte de lobby des sociétés minières, c’est le bras armé de ces entreprises [...] Du temps où je réalisais mes travaux, j’avais beaucoup d’échos et de documents qui montraient que la diplomatie canadienne mettait sous pression les États pour protéger les minières. Quand la situation tourne mal parce qu’une mine a exproprié des paysans, siphonné l’eau, pollué une rivière ou suscité une guerre civile, la diplomatie canadienne intervient pour qu’elle puisse continuer ses opérations», s’indigne Alain Deneault.

Parmi les plus graves cas liés à l’action des minières canadiennes, Alain Deneault évoque notamment le déclenchement d’une guerre civile en 1996 au Congo. Dans Noir Canada, il rappelle que «des sociétés occidentales majoritairement canadiennes ont financé, armé et encadré Laurent-Désiré Kabila, de même que ses soutiens ougandais et rwandais, pour lui permettre de renverser le maréchal Joseph Mobutu au pouvoir depuis des décennies».

«Dans les années 1990 au Congo-Kinshasa, la minière Barrick Gold a obtenu une concession d’exploration de 89.000 kilomètres carrés de la part du dirigeant Joseph Mobutu. Ensuite, Laurent-Désiré Kabila a été soutenu par des sociétés minières canadiennes pour renverser Mobutu. Kabila a ensuite contresigné l’entente avec Barrick Gold. [...] Des sociétés canadiennes sont directement responsables d’une guerre civile qui a fait des centaines de milliers de morts», déplore-t-il.

En 2009, le Bloc québécois –formation souverainiste à Ottawa–, a déposé un projet de loi visant la création d’une commission de surveillance des activités à l’étranger des entreprises canadiennes. Le projet de loi est mort au feuilleton après sa première lecture (n’a jamais été adopté par le Parlement canadien).

«Au cours des dernières années, plusieurs entreprises, particulièrement dans le secteur minier –où les entreprises canadiennes sont très actives– ont été associées à des actes qui sont inacceptables aux yeux des Québécoises et des Québécois, comme des déplacements forcés de population, des désastres environnementaux, appuis à des régimes répressifs ou encore de graves violations aux droits humains. [...] Le gouvernement fédéral a toujours choisi de fermer les yeux», déclarait alors Francine Lalonde, ex-porte-parole du Bloc en matière d’affaires étrangères.
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