C’est un pari osé que s’est lancé Amar, le concepteur d’After Lyfe. La quarantaine, l’homme, qui souhaite conserver l’anonymat, nous reçoit dans son bureau situé sur les hauteurs d’Alger. Il explique que produire des spiritueux en Algérie est tout à fait légal, mais que cela nécessite une certaine discrétion.
«Nous sommes confrontés à une forme de prohibition sociologique», regrette-t-il.
Amar ne cache pas sa fierté en dévoilant son bébé: une vodka de première qualité présentée dans un skull (bouteille en forme de crâne) de couleur bleu clair. Une fois vide, le skull peut à nouveau être rempli avec une «Lyfe», de la vodka vendue dans un emballage en matière souple d’un litre qui, selon Amar, présente l’avantage d’être «10 fois moins polluant qu’une bouteille de plastique d’eau minérale».
Comment est née After Lyfe? La question fait sourire son concepteur, ancien étudiant en architecture qui est parti au Canada durant les années 1990.
«Quand j’ai quitté Alger à l’âge de 20 ans, le pays subissait la violence du terrorisme islamiste. Une fois installé au Québec, j’ai suivi des études en management stratégique. Mes nouvelles connaissances m’ont permis de créer des entreprises au Canada et aux États-Unis. Pour ce qui est de la vodka, l’idée est apparue il y a une dizaine d’années en constatant que de nombreuses marques d’alcool étaient présentes en Algérie. Comme tout Algérien expatrié qui baigne dans une expertise, je me suis dit qu’il serait possible de la reproduire dans mon pays. La marque After Lyfe a été déposée aux États-Unis et nous avons décidé de l’utiliser pour l’Algérie. Voilà comment est née notre vodka.»
Selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) datant de 2016, seulement 3,2% de la population algérienne boit de l’alcool. La consommation par habitant serait de 29,1 litres d’alcool par an (34,5 litres pour les hommes contre 12,4 litres pour les femmes).
Le Hirak de l’alcool
Pour Amar, le secteur des boissons alcoolisées et les modes de consommation restent très peu connus. «Nous travaillons sur cette question car nous sommes tenus de connaître notre marché, et je dois dire que nous faisons des découvertes au quotidien», assure-t-il. Preuve du mystère qui règne dans le monde de l’alcool dans ce pays du Maghreb, ce chiffre rapporté le site ukrainien UBR: l’Algérie a importé 18 millions de litres de bière ukrainienne durant l’année 2017!
L’objectif d’Amar est justement d’inverser la tendance et d’exporter des spiritueux algériens fabriqués avec des produits locaux.
«After Lyfe est élaborée à partir de l’eau de source, puisée au cœur de la chaîne montagneuse des Aurès, et des céréales désignées comme étant produites localement. C’est un mélange de diverses variétés de blés dont nous gardons le secret. Au-delà de la qualité, c’est sa philosophie et son histoire qui donnent une identité forte à notre vodka. En France, les concepteurs d’une célèbre vodka ont créé toute une histoire autour de leur produit. En réalité, il n’en est rien. C’est juste un effort de marketing. After Lyfe c’est autre chose, elle est née dans une Algérie tumultueuse, elle fait le Hirak de l’alcool!»
Il assure pouvoir placer sa vodka dans plusieurs marchés internationaux. Au Canada notamment, où des groupes spécialisés ont la capacité de la distribuer à travers toute l’Amérique du Nord. After Lyfe est également attendue en Europe et dans plusieurs pays africains. En fait, Amar et ses associés n’attendent que l’instauration d’une législation plus souple en matière d’exportation d’alcools.
Surtout que leur entreprise prépare un nouveau produit: une eau-de-vie à base de dattes. Appelé «legmi», en référence au vin de palme consommé dans les oasis d’Algérie et de Tunisie, ce spiritueux titrant 40 degrés se présente sous une belle robe ambrée. Deux équipes travaillent sur ce projet au Canada et dans l’État du Delaware (États-Unis) depuis 18 mois et sont sur le point de finaliser son développement.
«Nous nous sommes intéressés à la question de créer un alcool typiquement algérien à base de dattes Deglet nour de premier choix. Du temps et de l’argent ont été investis pour obtenir une eau-de-vie stable d’une qualité gustative supérieure. Nous voulons en faire un produit vedette, un alcool destiné aux touristes qu’ils pourront consommer ici et en prendre avec eux en quittant l’Algérie.»
Ce «déménagement» ferait perdre, de fait, la nationalité algérienne à l’After Lyfe. «C’est un risque à prendre», répond-il avec une pointe de regret…