Attentat de Londres: face au terrorisme «aux mille entailles», les polices désemparées?

© AFP 2024 ISABEL INFANTESAttaque Londres 2 janvier 2020
Attaque Londres 2 janvier 2020 - Sputnik Afrique
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Trois mois après l’attentat du pont de Londres, la capitale britannique a vécu une nouvelle attaque terroriste, revendiquée par Daech. Sudesh Amman a poignardé trois personnes, après être sorti de prison. Une nouvelle blessure infligée par le «djihadisme de proximité». Que faire?

Le propagandiste est finalement devenu terroriste. À 14h dans le quartier de Streatham à Londres, un étudiant, témoin de la scène, a rapporté avoir vu un individu courir, «armé d’une machette et portant deux bidons d’essence», pourchassé avant d’être abattu par un agent en civil: «je pense avoir entendu trois coups de feu», a-t-il souligné. Avant d’être neutralisé, Sudesh Amman aura poignardé trois personnes en plein jour. Heureusement,  leurs vies ne sont plus en danger.

Âgé de 20 ans, il venait tout juste de sortir de prison, avant même d’avoir purgé la moitié de sa peine. En décembre 2018, il avait été condamné à trois ans et quatre mois d’incarcération pour 13 infractions terroristes. À l’époque, c’était un blogueur aux Pays-Bas qui avait signalé une photo diffusée sur la messagerie Telegram, montrant un couteau et deux fusils devant le drapeau noir de Daech*, avec la légende «armé et prêt pour le 3 avril». Son ordinateur et son téléphone contenaient 349.000 fichiers propagandistes, dont des tutoriels pour fabriquer une bombe, ou des manuels de techniques de combat, au couteau notamment. Les services de police avaient d’ailleurs trouvé un couteau de combat, un pistolet à air comprimé et un drapeau noir. Il avait incité sa petite amie à décapiter ses parents, des «mécréants».

«Daech* est là pour rester»

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Prévenant les critiques de laxisme, la police affirme que sa «surveillance étroite» lui aurait permis d’intervenir relativement rapidement. Amman avait suscité l’inquiétude des services de police. Le terroriste en puissance partageait également des publications d’Al-Qaïda* sur WhatsApp. Il aurait déclaré à ses frères et sœurs que «Daech* est là pour rester».

Que cela soit en Grande-Bretagne ou en France, «tout le monde a pris conscience de la difficulté à laquelle nous sommes confrontés à prévenir les loups solitaires», analyse Noam Anouar, ancien agent des renseignements généraux français, auteur du récent essai La France doit savoir (Plon, 2019), avec lequel nous nous sommes entretenus:

«On se rend bien compte que ce n’est pas un problème d’organisation, c’est un problème d’idéologie», estime notre interlocuteur.

En effet, bien que Daech* soit sur le point de disparaître formellement au Moyen-Orient, sa doctrine continue de faire des ravages. Elle conserve l’une de ses forces, empruntée à sa rivale Al-Qaïda*: un mode opératoire anxiogène pour les sociétés occidentales. Une tactique tirée d’un pavé de 1.600 pages, intitulé «L’appel à la résistance islamique mondiale», et publié en arabe et sur Internet en 2004 par un certain Abou Mussab Al-Souri, un djihadiste d’Al-Qaïda* dont la trace a disparu en 2014 en Syrie. Face à l’échec inévitable d’une confrontation directe avec les armées de ces dernières, ce dernier prônait un «djihadisme de proximité», pour frapper les nations «mécréantes» d’innombrables entailles.

«Prends un couteau et attaque des touristes»

Exactement ce que Sudesh Amman affirmait à sa petite amie:

«Si tu ne peux pas fabriquer une bombe parce que des membres de ta famille, des amis ou des espions t’observent ou te soupçonnent, prends un couteau, un cocktail Molotov, ou une voiture la nuit et attaque des touristes, la police, des soldats, un lieu de culte non-musulman.»

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Des attaques suicidaires, bien sûr. Au cœur, un instinct morbide, que l’Occident semble avoir découvert avec Mohammed Merah. Dès 2012, celui-ci avait déclaré aux négociateurs du RAID «aimer la mort autant que vous aimez la vie». Chez Sudesh Amman, le ressort semble identique: «sa fascination pour la mort au nom du terrorisme était évidente dans un bloc-notes que nous avons récupéré chez lui», avait déclaré en 2018 Alexis Boon, le commandant antiterroriste de la police de Londres, avant de préciser: «Amman avait griffonné ses "objectifs de vie" dans le bloc-notes et, en haut de la liste, au-dessus des activités familiales, figurait la mort en martyr et le fait d’aller à "Janna" [la vie après la mort, ndlr]».

Une fascination pour la mort qui serait, selon Noam Anouar, «liée au désespoir et de perspectives d’émancipation» des jeunes musulmans, et qui peut s’organiser de manière cohérente: «sachant que le suicide est interdit en islam, [le djihadiste] va provoquer sa propre disparition». Ajoutez à cela que «le statut de martyr, via le meurtre d’un "mécréant", donne un accès sans filtre au paradis», et vous obtenez une recette mortifère. «Du pain béni pour les idéologues de la mort», selon Anouar.

Une doctrine d’une efficacité redoutable: «On ne pourra jamais recenser le nombre de personnes capables de prendre un couteau pour s’attaquer à des civils innocents», constate Noam Anouar. En cause, selon notre source, affectée pendant 10 ans aux renseignements: «la déstructuration progressive des services de renseignement et une politique floue», guidée par «l’obligation de résultat et le besoin de faire du chiffre», par exemple via le démantèlement de réseaux. Des besoins de com’ qui masqueraient une inefficacité quotidienne:

«En France, force est de reconnaître que nous avons du mal à anticiper les passages à l’acte. La majorité des assaillants ne sont plus fichés S. Jusqu’en 2015, nous étions à peu près efficaces dans la détection. De temps en temps, il y a une interpellation par-ci par-là, mais, globalement, nous avons de grandes difficultés à obtenir des résultats. Si on les obtient, c’est souvent des ados qui se défoulent sur Telegram!»

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Une manipulation qui s’ajoute à celle de personnes psychologiquement fragiles. Noam Anouar n’a d’ailleurs aucun doute: il est «parfaitement compatible» d’être à la fois djihadiste et déséquilibré. Par ce jeu, le djihadisme se joue à merveille du droit français. Car face à une telle menace, la législation française ne peut qu’être inadaptée, puisque «le fait de souffrir d’une pathologie psychiatrique exonère de la responsabilité», comme le rappelle Noam Anouar. Aussi, Kobili Traoré, le meurtrier de Sarah Halimi, dont le discernement aurait été aboli au moment des faits, a-t-il été jugé pénalement irresponsable en décembre dernier. Un verdict difficilement audible pour l'opinion.

Idem pour Mickaël Harpon, le terroriste de la préfecture de police. Était-il islamiste ou déséquilibré? «Je voudrais qu’on nous dise la vérité», plaide Noam Anouar: «on nous a certifié que le passage à l’acte n’avait rien à voir avec la radicalisation. Mais aujourd’hui, le préfet de police communique sur le maintien des policiers de confession musulmane». Un manque de clarté qui génère une situation discriminatoire intolérable, selon Noam Anouar.

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Et qui vient confirmer qu’au-delà des attaques au couteau, le mal voulu par Daech* est davantage psychologique que physique. Car, dans l’absolu, ces attaques divisent, en poussant les sociétés européennes à craindre et rejeter la jeunesse musulmane, pour ensuite manipuler la victimisation que peuvent vivre certains jeunes immigrés. Tout effort de lutte contre la radicalisation sert dès lors la rhétorique islamiste, qui peut y dénoncer la moindre trace d’islamophobie. Un piège bien plus pérenne qu’un califat dans le désert.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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