Le Forum Mondial de la Shoah, entre nouvel antisémitisme et tensions avec l’Iran

© AP Photo / Christophe EnaBenjamin Netanyahu et Emmanuel Macron à Paris
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De nombreux chefs d’État, dont Vladimir Poutine et Emmanuel Macron se rendent au Forum Mondial de la Shoah, organisé à Jérusalem pour les 75 ans de la libération d’Auschwitz. Ils échangeront avec Benjamin Netanyahu sur le regain d’antisémitisme, ainsi que sur la crise iranienne. Sputnik a interrogé l’historien Gil Mihaely sur ces dossiers.

34% des juifs se sentent menacés aujourd’hui en France. C’est le constat alarmant dévoilé par Le Parisien, dans une étude que dresse l’IFOP pour la Fondapol et l’American Jewish Committee. Un sentiment chiffré à mettre évidemment en rapport avec l’augmentation de 74% de faits à caractère antisémite en 2018, avec 541 cas officiellement recensés.

Emmanuel Macron aura l’occasion d’en débattre à Jérusalem avec ses homologues lors du Forum Mondial de la Shoah, marquant le 75e anniversaire de la libération d’Auschwitz, qui se tient le 23 janvier. De nombreux autres dirigeants internationaux, dont Vladimir Poutine et Mike Pence, le vice-Président américain, seront également de la partie pour échanger sur l’antisémitisme, mais aussi des récentes tensions entre l’Iran et les États-Unis. Décryptage avec Gil Mihaely, historien et directeur de la publication des revues Causeur et Conflits.

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Le choix du 23 janvier pour la tenue de l’évènement n’est pas anodin, puisque la date correspond à la libération d’Auschwitz, alors qu’auparavant, le Forum Mondial de la Shoah se tenait en mai pour coïncider avec l’anniversaire de la révolte du ghetto de Varsovie, au printemps 1943. Selon Gil Mihaely, ce choix s’inscrit dans une vision plus globale de la Seconde Guerre Mondiale. Il répond aussi à des choix politiques, le poids démographique des juifs russophones en Israël n’est pas à négliger, ainsi que la proximité entre Vladimir Poutine et Benjamin Netanyahu.

Cet évènement «intègre la contribution importante de l’URSS, de l’Armée rouge dans la Seconde Guerre mondiale et surtout dans la libération des camps, dont la plupart étaient en Europe de l’Est, en Ukraine, en Biélorussie et en Pologne.»

L’antisémitisme musulman

Dans un message destiné au mémorial israélien sur la Shoah de Yad Vashem, Emmanuel Macron a défendu son «combat de chaque jour» contre l’antisémitisme. Après avoir rencontré le Premier ministre israélien, ce mercredi 22 janvier, il devrait s’adresser à la communauté juive française, de plus en plus inquiète face à cette montée des actes antisémites en France. Pour Gil Mihaely, l’antisémitisme en France a changé radicalement de forme. L’antisémitisme traditionnel, catholique ou d’extrême droite, serait résiduel par rapport à une nouvelle forme d’antisémitisme:

«L’antisémitisme racial de l’extrême droite à la sauce nazie existe évidemment, mais c’est assez limité. Dans la plupart des cas, il s’agit d’actes commis par des gens de culture ou d’origine musulmane contre des juifs, dans un contexte d’antisémitisme de nouvelle génération.»

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Le journaliste fait ainsi référence aux travaux de l’historien Georges Bensoussan, l’un des premiers à dénoncer cet antisémitisme musulman. Il dénonçait il y a peu, dans les colonnes du Figaro, la décision de la Cour d’appel de prononcer l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi. Il évoquait ainsi un nouvel interdit: «Ce qui est tabou, ce sont les antisémites».

Israël face à l’Iran

Sputnik a également interrogé Gil Mihaely sur la façon dont Israël a vécu la récente crise régionale entre les États-Unis et l’Iran, alors que certains dirigeants iraniens menaçaient clairement l’État hébreu. Ce fut notamment le cas de Mohsen Rezaï, qui a déclaré: «Si l’Amérique prend la moindre mesure après notre riposte militaire, nous réduirons Tel-Aviv et Haïfa en poussière». Selon le journaliste, ces tensions n’ont pas eu de conséquences particulières. Le niveau d’alerte a effectivement été relevé dans le pays, mais le gouvernement israélien n’a fait aucun commentaire pouvant embraser la situation. Et surtout, les réservistes n’ont pas été rappelés.

«Il y a toujours une forme de tension […] Je n’ai pas l’impression qu’on se préparait à une guerre avec l’Iran autour de l’assassinat du général Soleimani.»

Pourtant, l’hostilité de Téhéran vis-à-vis de Tel-Aviv n’est un secret pour personne. Gil Mihaely propose sa grille de lecture à ce sujet:

«Cette affaire iranienne est très surprenante, sauf si on se dit que pour des raisons géostratégiques, l’Iran souhaitant mobiliser ce qu’il reste comme pays non affiliés, une sorte d’axe de résistance à l’Occident, a choisi une forme d’antisémitisme et d’antisionisme, un rejet total d’Israël. Ils sont plus royalistes que les Palestiniens sur cette question comme pivot stratégique.»

Le directeur de la publication de la revue Conflits se montre relativement élogieux vis-à-vis du général iranien tué par une frappe américaine en Irak. Célébré en héros par de nombreux Iraniens, il est conspué aux États-Unis comme un terroriste. Comment était-il perçu à Tel-Aviv?

«Pour les Israéliens, Soleimani est le symbole de l’expansionnisme agressif et anti-israélien de l’Iran […] Je ne pense pas qu’en Israël, on utilise le terme de terroriste contre lui. Il est clair que c’était un homme d’exception, c’est un chef militaire talentueux. Il me fait penser d’ailleurs à ces généraux et maréchaux de l’armée de Napoléon, qui étaient des sergents ou des lieutenants de l’armée de l’Ancien régime, et à qui la Révolution a permis de faire des carrières brillantes.»

Pourtant, il estime que Qassem Soleimani, chef de la Force al-Qods –les Gardiens de la Révolution– responsables des opérations extérieures de la République islamique, ne reculait pas «devant des méthodes de terroriste, de cibler une population civile, mener une guerre presque totale contre les ennemis de son pays.»

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Les tensions irano-israéliennes depuis l’avènement de la République islamique en 1979 se sont aggravées au cours des années 2000, avec l’arrivée au pouvoir à Tel-Aviv du très droitier Benjamin Netanyahu et à Téhéran, du conservateur Mahmoud Ahmadinejad. L’invasion américaine de l’Irak en 2003 a servi les intérêts iraniens, voyant ainsi Saddam Hussein, leur principal ennemi, déchu. La présence iranienne en Irak et en Syrie, ainsi que le Hezbollah au Liban, inquiète de plus en plus Tel-Aviv, qui a dressé certaines lignes rouges. Celles-ci se matérialisent régulièrement par des frappes secrètes de Tsahal sur des bases en Syrie ou en Irak.

«Une certaine présence iranienne en Syrie peut être tolérée sous certaines conditions par Israël, mais pas ce que souhaite l’Iran. Donc Israël ne tolérera pas une Syrie qui est une plateforme iranienne comme aujourd’hui l’est le Liban […] Israël ne se laissera pas enfermer dans une sorte de nasse “Made in Iran” qui risque de submerger les capacités israéliennes d’absorber le feu.»

 

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