Se dirige-t-on vers la disparition du cash? La question semble légitime à l'heure où plusieurs banques centrales à travers la planète pratiquent une politique de taux bas, voire négatifs. En Europe, la Banque centrale européenne (BCE) facture les banques qui placent leurs excès de liquidité dans ses coffres en appliquant un taux de -0,5%. Voyant leurs marges rognées, plusieurs banques n'hésitent plus à appliquer elles-mêmes des taux négatifs sur certains comptes courants.
Une grande #banque d’Europe va #taxer les #dépôts de plus de 100.000 euros https://t.co/mm06wxtUVI
— Christmaurisson (@ChristMaurisson) 9 octobre 2019
Ce type de politique a des effets dévastateurs sur l'épargne. Et ce n'est pas le seul problème, comme le relève le conseiller en gestion de patrimoine Nicolas Perrin dans Économie Matin. Il cite notamment un Flash Eco de Natixis publié en octobre dernier:
«Le problème majeur avec les taux d’intérêt nominaux très faibles ou négatifs est l’existence de la monnaie (billets, dépôts à vue) rémunérée à 0%. Cette existence implique que les taux d’intérêt nominaux très bas conduisent au report de l’épargne vers la monnaie (M1 regroupe les billets et les dépôts à vue), ce qui rend plus difficile le financement de l’économie et affaiblit les banques, dont l’essentiel des ressources provient des dépôts rémunérés à 0%.»
Le cash est donc un problème dans un tel contexte. Et le Fonds monétaire international a quelques idées sur la question. Ruchir Agarwal, économiste au FMI, et Signe Krogstrup, conseillère auprès du FMI et accessoirement gouverneure adjointe de la Banque nationale du Danemark, ont lancé quelques pistes en 2019. «Lorsque les espèces sont disponibles, pratiquer des taux d’intérêt très négatifs devient impossible. Les espèces ont le même pouvoir d’achat que les dépôts bancaires, mais un taux d’intérêt nominal nul. […] L’une des possibilités pour franchir la limite inférieure de zéro serait de supprimer les espèces. Mais ce n’est pas simple. Dans de nombreux pays, elles continuent à jouer un rôle important dans les paiements», constataient-ils.
Leur solution?
«Pour contourner ce problème, nous avons examiné dans une récente étude des services du FMI et dans des recherches antérieures une proposition destinée aux banques centrales, à savoir de rendre la détention d’espèces aussi onéreuse que celle de dépôts bancaires assortis de taux d’intérêt négatifs, afin de pratiquer des taux d’intérêt très négatifs tout en préservant le rôle des espèces.»
En d'autres termes: rendre coûteux d'utiliser des espèces, comme l'explique l'analyste financière Simone Wapler, citée par Nicolas Perrin:
«D’où la dernière proposition des enragés du FMI: une monnaie numérique qui pourrait être soumise à un taux négatif et des espèces qui se verraient appliquer un taux de change dissuasif. Soit vous avez de la monnaie numérique et vos dépôts en banque sont taxés. Si vous refusez et que vous voulez convertir vos dépôts en espèces, on vous applique un taux de change.»
Philippe Béchade, président du think tank des Éconoclastes, est un ardent défenseur du cash. Il livre à Sputnik France son analyse de l'avenir de nos pièces et billets dans une économie en pleine mutation.
Sputnik France: Des membres du FMI envisagent de rendre onéreuse la détention d'espèces. Est-ce que nous nous dirigeons lentement mais sûrement vers la fin du cash?
Philippe Béchade: «La fin du cash je ne crois pas. Mais la spoliation de ceux qui en détiennent... peut-être. Reste à voir les procédés qui pourraient être mis en œuvre. Ce qui me paraît le plus simple reste la facturation des retraits d'espèces depuis les distributeurs automatiques de billets. Admettons que cela soit gratuit jusqu'à 100 euros, puis qu’ensuite un taux de facturation s'appliquerait en fonction du montant retiré: plus il est important, plus le taux augmente. Il faut également noter qu'à partir du moment où l'argent est stocké numériquement, il est possible de le taxer à volonté.»
Philippe Béchade: «On se retrouverait avec de l'argent uniquement numérique. D'une certaine manière, il n'appartiendrait plus totalement à ses détenteurs. Cela rendrait ce que possèdent les épargnants susceptible d'être soumis à toutes sortes de taxes et autres pénalités. Il suffirait de prélever quelques pourcents sur les comptes sans que personne n'y puisse rien.»
Sputnik France: Peut-on parler de volonté de contrôle?
Philippe Béchade: «Oui et toujours au nom de prétextes comme la lutte contre le blanchiment, l'argent sale, le financement du terrorisme etc. Qui s'opposerait à une volonté d'empêcher les terroristes de disposer de cash avec de mauvaises intentions? N'est-ce pas?»
Sputnik France: Selon vous, la politique de taux négatifs pourrait-elle mener à la taxation des dépôts des particuliers?
Philippe Béchade: «C'est déjà le cas pour de gros montants dans des pays comme le Danemark ou l'Allemagne. Nous sommes dans le temps de l’expérimentation et des tests pour savoir ce que seront prêts à accepter les épargnants. Ceux qui sont aujourd'hui taxés comme en Allemagne disposent de beaucoup de liquidités. Ils ne tarderont pas à les convertir en d'autres actifs comme l'or et ne laisseront sur leur compte que le minimum pour faire face aux dépenses courantes. Il y a toujours moyen de transformer son cash en autre chose.»
Philippe Béchade: «Les derniers propos de Christine Lagarde, la patronne de la Banque centrale européenne, me semblent plus nuancés que l’approbation sans réserve des taux négatifs. Elle souhaite évaluer les effets collatéraux et éventuellement négatifs de cette politique de taux inverses. Mis à part des acteurs institutionnels jouant la hausse du prix des actifs obligataires, je ne vois pas qui pourrait souhaiter se laisser déposséder de son argent pour l'investir dans quelque chose qui offre un rendement négatif. Ces rendements négatifs ne gênent pas uniquement ceux qui achètent des emprunts d'État et qui croient dans la promesse des Banques centrales d'empêcher le cours des dettes de progresser. Si j'achète des obligations assimilables du Trésor (OAT) à trois mois à moins 0,5% et que d'ici à trois mois les tranches prennent 1 ou 1,5% c'est une très bonne affaire. Évidemment, l'épargnant lambda qui, lui, place sur des durées de 10, 15 ou 20 ans et n'a jamais la main pour prendre des bénéfices sur des dettes ayant atteint des cours astronomiques, celui-là n'aura que son rendement, et donc ses yeux, pour pleurer.»