Coiffé d’une éternelle casquette, Bassek Ba Kobhio est une figure majeure du cinéma africain. À 62 ans, le cinéaste et écrivain camerounais veut rendre au septième art du continent ses lettres de noblesse. Depuis 1997, il est le promoteur du festival Écrans noirs, une cérémonie qui récompense le cinéma africain et du monde noir, trop souvent classé au second plan. À la question de savoir pourquoi la dénomination «Écrans noirs», le cinéaste répond:
«C’est pour que nos écrans chargés d’images de Blancs affichent aussi des images de Noirs, tout simplement», explique-t-il au micro de Sputnik.
Ce festival, qui a tenu sa 23e édition au mois de juillet 2019, est né d’une envie du cinéaste de porter ses œuvres sur le grand écran.
«Je faisais des films que j’allais montrer à travers le monde, et mon public ne les voyait pas. Cela était insupportable pour moi. C’est pourquoi j’ai décidé de lancer ce festival, pour que nos publics d’Afrique aient accès à nos films», nous confie-t-il.
«L’essentiel est de trouver les moyens de faire des films, de former les jeunes, de convaincre les pouvoirs publics de mettre de l’argent dans la production, de diffuser les films auprès de notre public et de gérer les problématiques inhérentes à toute production», estime le défenseur du cinéma africain.
Un artiste dans l’âme
C’est dans ce difficile contexte que Bassek Ba Kobhio, né le 1er janvier 1957 à Nindje, dans la région du Littoral (Cameroun), a pu donner naissance à des œuvres cinématographiques atemporelles. Après des études de sociologie et de philosophie, il débute comme stagiaire et assistant sur une série de documentaires produits par le ministère de l'Information et de la Culture du Cameroun, puis il travaille comme premier assistant-réalisateur sur Chocolat de Claire Denis (1987).
Des œuvres certes inspirées du quotidien, mais mises en scène selon un fil conducteur.
«Mes sources d’inspiration, si je n’avais pas peur des lieux communs, sont le quotidien. Mais la question de l’apprentissage, du savoir pour influer sur le présent et l’avenir sont au cœur de mon travail, à la fois littéraire et artistique», confie-t-il.
«Le projet de faire du cinéma sommeillait en moi depuis la classe de 3e, lorsque j’ai reçu, en récompense du prix de français, le livre ‘’Sembene Ousmane, cinéaste’’, de Paulin Vieyra. Jusque-là, je rêvais de me spécialiser en littérature, d’être écrivain. À partir de ce moment, j’ai voulu faire du cinéma, en plus de la littérature», se souvient le réalisateur.
Aujourd’hui au sommet, respecté par ses pairs en Afrique et même dans le monde, Bassek Ba Kobhio est un modèle pour les jeunes cinéastes africains avides de réussite. Considéré comme un patriarche, dépositaire d’une culture cinématographique riche et variée, le réalisateur a créé l’institut supérieur de formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel d’Afrique centrale (ISCAC), une école de formation diplômante dans le domaine du cinéma. Il souhaite voir le septième art intégré dans les programmes scolaires, dès la classe de terminale, au Cameroun.
«En attendant le lancement effectif du baccalauréat option cinéma, l’écriture de l’ouvrage du niveau 1 (c’est-à-dire de la classe de seconde) dans la perspective de ce baccalauréat fait partie de mes préoccupations urgentes», se projette le réalisateur.
« J’ai depuis longtemps déjà dénoncé le sort de citoyens de seconde zone qui était réservé aux anglophones. J’écris sur la question depuis 1991. La solution n’est cependant pas dans le séparatisme parce que s’ils restaient seuls entre eux, les anglophones vivraient encore de nouvelles injustices entre Nord-Ouest et Sud-Ouest. Le problème est ailleurs, dans la lutte pour une société plus juste et plus égalitaire. Mais j’ai peur qu’ici encore, des mesures anecdotiques prennent le pas sur les résolutions de fond qui concernent tout le monde. À défaut de fédération, une régionalisation profonde qui concernerait toutes les régions, vraiment toutes et non pas seulement les régions anglophones, est une voie de salut pour notre pays», conclut l’artiste.